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monde des sujets de caricatures sans fin ; elle plaça dans un village voisin de Paris, à Andilly près Montmorency, son fils Édouard Rawdon, dont elle ne s’embarrassait guère, et revint à Londres se loger dans une petite chambre démeublée. Là, elle triompha aisément des créanciers de son mari, qu’elle avait laissé à Paris. Un argument sans réplique les mit à ses pied : « Rawdon n’a rien, n’espère rien ; il ne reviendra que si vous lui donnez quittance. Voulez-vous cinq pour cent ? » — Avoués et huissiers ployèrent le genou en admirant la jeune femme qui connaissait si bien les affaires. En effet, Rébecca opère toutes les séductions ; elle réveille l’amour éteint, fait renaître l’estime abolie par sa mauvaise renommée, s’humilie pour qu’on l’exalte, relève la tête pour que le vulgaire abaisse la sienne, et exécute avec une agilité incomparable les évolutions les plus merveilleuses. Avec tout cela, armée de tant de dextérité et de prestesse, réussira-t-elle ? Peut-être. — Quoi qu’il en soit, ses premiers pas sont des triomphes. Conquérir l’esprit de son mari a été un jeu pour elle. À Paris et à Bruxelles, elle laisse des dettes nombreuses, revient s’établir à Londres, se fait des amis pour l’usage de Rawdon, sourit, combine, conspire, devient l’arbitre d’un certain monde et s’empare même du grave et solennel sir Pitt, recueil abrégé de toutes les convenances ; ce dernier a succédé à son rustique père, dont la vie, après que Rawdon eut épousé Rébecca et que miss Crawley eut laissé son bien au fils aîné, était devenue cynique à faire peur. Le vieux Pitt ne se gênait plus ; ses soirées se passaient entre la fille de son sommelier Horrocks et ce sommelier lui-même, toujours ivre.

Le résultat de la sagesse diplomatique de Pitt l’aîné et de la brutale étourderie de son frère le dragon fut que la fortune du vieux membre du parlement et presque toute celle de la sensuelle amie de Fox vinrent se concentrer sur la tête du diplomate au langage amène et aux manières courtoises. Plein de respect pour les convenances et fidèle à la religion de l’étiquette, il s’occupa de restituer l’honneur de la famille. Les allées furent sablées, les murs recrépis, les volets repeints. Le scandale cessa. Il épousa une jeune femme de l’aristocratie, vraie vignette anglaise, douce et polie, sans volonté, sans esprit, mais bien élevée Rébecca comprit que la considération lui viendrait de ce côté, et que si elle avait soin de cultiver le diplomate et d’être bien avec sa femme, le bénéfice moral qui lui reviendrait d’une liaison semblable pourrait être placé à gros intérêt. Elle alla donc rendre visite au nouveau propriétaire du château de Crawley, emmena avec elle son fils Édouard, dont elle se souciait peu, mais qui lui donnait un air maternel et intéressant, força Rawdon le déshérité à faire bonne mine à son frère, et, selon sa coutume, enleva tous les cœurs.

D’abord il avait fallu se créer à Londres un établissement comfortable