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contraire, il est accepté aujourd’hui que les groupes épars sur l’immense surface de l’Algérie fournissent un total d’environ 3 millions d’ames.

Rien ne rappelle moins la noble idée qu’éveille, en Europe, le mot de nation, qu’un pays si différent du nôtre, si divers en lui-même. Entre l’Arabe nomade et l’habitant des oasis, entre le Berbère kabile et le Berbère chaouia, il n’y a qu’un lien, la sympathie religieuse : du reste, diversité de langage, de coutumes, d’idées, d’intérêts, d’état social. Si l’égalité la plus absolue devant une seule loi, qui est le Koran, est le premier principe de l’islamisme, cette égalité écrite dans la loi devient une illusion en Algérie : ce pays, où aucune hiérarchie dans l’état des personnes n’est reconnue légalement, est celui où la noblesse de fait, celle qui résulte de l’influence des noms et d’une clientelle de famille, est la plus puissante. Cette suprématie des grandes races prend les formes les plus diverses. Dans le voisinage du Maroc, où le fanatisme est plus ardent, l’influence appartient aux familles religieuses. Dans l’est domine une féodalité héréditaire, comme un souvenir vénéré de la vie patriarcale. Parmi les Kabiles, le respect pour les grandes familles se combine avec le principe de l’élection.

Au milieu d’un tel monde, la vie individuelle est à peine possible, si ce n’est pour les habitans des villes : l’unité, ce n’est pas l’homme, c’est la tribu. Chaque tribu a sa loi d’existence à laquelle elle obéit avec une régularité instinctive. Il y en a qui sont complètement sédentaires ; il y en a qui sont toujours nomades ; d’autres accomplissent un mouvement d’oscillation entre des limites qu’elles ne franchissent jamais. Dans un rayon assez étendu autour des principales villes, les tribus, brisées de longue date à l’obéissance par l’action du gouvernement turc, vivent dans l’isolement et la défiance. Plus loin, on les verra se grouper en fédérations qu’il est prudent de surveiller. Une partie des tribus conservent leur intégrité primitive ; souvent elles s’éparpillent en nombreuses fractions. La propriété est diverse autant que les hommes : il y a des terres d’habitation et des terres de parcours, des biens personnels et des biens collectifs, des territoires civils et des fiefs militaires. Ce qui fait la richesse, c’est, pour le montagnard du nord, le toit de chaume et le jardin ; pour le Saharien, l’eau qui crée une oasis ; au centre, c’est la vaste plaine propre au labour. Il a fallu plusieurs années pour discerner mille circonstances de ce genre : on doit en tenir compte pour adoucir ces douloureux froissemens que cause toujours le joug étranger.

La domination d’un tel pays était plus facile pour les Turcs que pour nous ; les vainqueurs ne se piquaient pas d’équité à l’égard des vaincus. Aussi, rien de plus simple que le gouvernement de l’ancienne régence : c’était l’exploitation par la terreur. Dans chaque province, un bey exerçant un pouvoir à peu près absolu, à la seule condition de fournir à la régence une certaine somme d’impôts ; dans les villes importantes, un