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porter à Turin, après l’avoir long-temps fait jouer à Gènes. Le roi Charles-Albert, d’après les dernières nouvelles que nous ayons en écrivant ces lignes, flotte encore entre les deux directions qui s’offrent à lui ; la majorité parlementaire, en se prononçant pour M. Brofferio, avait décidé le roi à accepter la démission de M. Gioberti ; les démonstrations populaires, visiblement hostiles au parti de la révolution, l’empêchent jusqu’ici de remettre le pouvoir entre ses mains. Comment imaginer pourtant que le roi de Piémont s’abandonne ainsi lui-même jusqu’à glisser sur cette pente au bout de laquelle il peut apercevoir déjà la chute de son trône ? Pour dire toute notre pensée, nous croyons que les anciens amis de M. de la Marguerite n’auraient jamais été plus près de revenir aux affaires que le jour où M. Brofferio serait mis à la tête du cabinet, au lieu de M. Gioberti. Ce n’est point sans quelque projet réservé que le souverain d’un pays où il y a tant d’élémens conservateurs et stationnaires se jetterait de gaieté de cœur au plus épais du radicalisme. À moins que Charles-Albert ne perde devant les difficultés parlementaires le sang-froid qu’il a sur le champ de bataille, il ne se peut qu’il se livre sans dessein à l’extrême emportement des hommes de la révolution. Si par hasard il ne descendait au parti républicain que pour retourner ensuite avec plus d’empire au parti absolutiste, en passant par-dessus la tête des libéraux modérés, à qui serait encore la faute ?

À qui la faute également, si le Piémont voit tout-à-fait échouer ce congrès de Bruxelles, d’où il se serait probablement tiré bagues sauves, malgré la prépondérance acquise aux armes autrichiennes ? Le congrès peut être considéré comme dissous. Notre ministre est revenu à Paris ; le ministre d’Autriche, le comte Colloredo, est allé déclarer à Londres que sa cour n’entendait rien céder des territoires qu’elle avait repris, et récuser d’avance toute idée que des puissances étrangères auraient le droit de se mêler des arrangemens intérieurs de sa majesté impériale avec ses sujets. Il n’était guère probable qu’il en fût autrement, et ç’a toujours été rendre un mauvais service à l’Italie de lui persuader qu’un état victorieux lâcherait dans un traité des provinces reconquises. La vraie question posée devant le congrès était donc seulement de ménager une paix aussi avantageuse que possible entre le Piémont et l’Autriche ; mais comment traiter, quand les fureurs impuissantes du parti qui s’intitule le parti national menacent de renouveler à Gènes et à Turin les merveilles de Livourne et de Florence ? Et comment, d’un autre côté, ne pas traiter au plus vite, quand une fois l’infériorité des forces piémontaises est connue comme elle l’est depuis la mission du général Pelet ? Les Piémontais peuvent dire sans rougir le mot que M. Mamiani disait dernièrement à Rome pour la plus grande confusion des Romains : où sont nos armées ? Le Piémont du moins sait où il a laissé les siennes ; mais cette noble conscience de dévouement et de son courage ne les lui rendra pas.

Tournons les yeux vers l’orient, vers le centre de l’Europe. Le bruit se répand que la garde impériale a quitté Pétersbourg pour se rapprocher de la Vistule ; les informations officielles confirment l’entrée des Russes en Transylvanie. Ce sont là des événemens pour le moins aussi graves que ceux de l’Italie ; ce sont peut-être des dangers plus directs et plus irrémédiables. La Russie est la seule puissance en Europe qui soit à même de risquer des guerres de fantaisie, et elle ne sort jamais de chez elle que quand il y a quelque chose à gagner. C’est une puissance patiente et prudente qui sait attendre les occasions, parce qu’elle les pré-