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sensibilité extrême, il recherchait l’affection de toutes les personnes qui fréquentaient la maison de son père. Il leur demandait souvent avec une naïveté charmante : « M’aimez-vous bien ? » et, si l’on tardait à lui répondre d’une manière favorable, ses yeux se remplissaient aussitôt de larmes. À cette sensibilité exquise qui débordait au moindre contact, il joignait une force de réflexion qu’il manifesta aussi de très bonne heure par un goût prononcé pour l’étude des mathématiques. Il en fut tellement préoccupé pendant quelque temps, qu’il négligea même la musique. Il couvrait les tables, les chaises, les murs de chiffres et de figures de géométrie. Ayant reçu en cadeau un petit violon proportionné à sa taille, il s’y exerça tout seul, et un jour que son père reçut la visite d’un habile violoniste, Wengl, qui venait pour essayer quelques nouveaux trios de sa composition, le jeune Wolfgang demanda à faire aussi sa partie. « Non, lui dit son père, tu ne pourrais pas nous suivre, puisque tu n’as pas encore étudié le violon par principes. » L’enfant se mit alors à pleurer en disant que, pour jouer une seconde partie, il n’était pas nécessaire d’être si habile. « Puisqu’il en est ainsi, répliqua le père, joue donc avec M. Schachtner que voilà, mais tout doucement car, si l’on t’entend, je te renvoie. » Quel ne fut pas l’étonnement de Léopold Mozart et des assistans quand ils entendirent le jeune Wolfgang exécuter avec précision non-seulement la partie du second violon, mais encore celle du premier, infiniment plus difficile ! C’est avec la même facilité que Mozart apprit à jouer des autres instrumens et qu’il devina presque tous les secrets de l’harmonie. Il avait à peine six ans que, poussé par une force instinctive, il se mit à composer un concerto. « Que fais-tu là ? lui dit son père, qui, rentrant chez lui accompagné d’un ami, trouva Wolfgang tout occupé à barbouiller un papier de musique. — Je compose un concerto dont la première partie est bientôt terminée. — Fais-nous donc voir ce beau chef-d’œuvre ! — Non ; ce n’est pas encore fini. » Léopold, lui arrachant alors le papier des mains, parcourut avec distraction ce griffonnage d’enfant. Tout à coup son regard se fixe, s’anime et se remplit de larmes ; puis, passant le papier à son ami, il lui dit avec un sourire de bonheur : « Voyez comme cela est bien et conforme aux règles ! » C’est ainsi que le père de Pascal, ayant surpris son fils aux prises avec les plus hautes questions de la géométrie, dont il lui avait expressément interdit l’étude, courut chez un ami lui raconter, en pleurant de joie, un si grand prodige.

C’est dans l’année 1762 que Léopold Mozart, accompagné de ses deux enfans, commença ses longs pèlerinages d’artiste à travers l’Europe. Ces voyages de toute une famille de musiciens allant chercher fortune dans des contrées lointaines étaient alors et sont encore aujourd’hui dans les mœurs simples et aventureuses de la nation allemande. En