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long-temps pour obtenir plus que nous ne voulions leur donner ; mais nous avons tenu bon, et ils ont fini par nous laisser dormir. C’est la première fois que nous avons pu concevoir quelque appréhension de violence, et nous n’avons même pas été menacés sérieusement.


Dakké.

Voilà encore un monument de plusieurs époques. Je néglige ce qui date des Ptolémées et des Césars, et je m’attache aux inscriptions qui se rapportent à un roi d’Éthiopie, nommé Ergamène, dont parle Diodore de Sicile.

Cet Ergamène m’intéresse. J’aime ce roi éthiopien, contemporain des premiers Ptolémées, et qui, sans doute éclairé par la philosophie grecque[1], osa se soulever contre le sacerdoce égyptien ; ce roi qui, sommé par les prêtres d’avoir à mourir pour leur complaire, refusa de leur obéir et les extermina. Une particularité me préoccupe, et, si j’ose dire ainsi, m’intrigue vivement. Ergamène est figuré rendant hommage à un personnage dont la figure est accompagnée d’un cartouche dans lequel on lit : la grande maison ou la maison du grand. Quel est ce personnage qui, dans d’autres tableaux, rend lui-même hommage à diverses divinités ? Je ne puis expliquer ce double rôle qu’en voyant là un Ptolémée (et, d’après l’époque où vivait Ergamène, probablement Ptolémée-Philadelphe), dont la suzeraineté sur ce roi nubien, inconnue à l’histoire semble attestée par ce monument.

Tandis que j’étais occupé à copier les hiéroglyphes qui accompagnent la figure du roi Ergamène, le vent, ce soir assez violent, s’engouffrait dans une ouverture placée au-dessous de l’inscription, et plusieurs bouffées sont venues me frapper dans le ventre. J’y ai senti comme le coup d’un projectile et une vive douleur. J’ai continué quelque temps de copier, mais il a fallu me retirer ; il me semble que je suis blessé aux entrailles. Je me souviendrai du roi Ergamène.

Il y a eu une espèce d’orage cette nuit. Je me lève tard ; je suis las et souffrant. Mes yeux, qui errent languissamment sur de grands plateaux de sable blanc, d’où sortent des montagnes pittoresquement groupées en pyramide, sont réjouis par une scène gracieuse du désert. Un chef bédouin, coiffé d’un turban magnifique, trotte à quelque distance sur un dromadaire blanc[2], tandis que ses jeunes fils et des esclaves suivent sur des dromadaires plus petits. Cavaliers et montures ne ressemblent pas plus aux fellahs et aux chameaux des caravanes qu’un écuyer habile sur un cheval de luxe ne ressemble à un paysan sur un cheval de trait.

  1. La physionomie grecque de son nom peut faire penser qu’il était Grec d’origine.
  2. Les dromadaires d’Égypte sont des chameaux qui n’ont qu’une bosse comme les autres ; ils ne s’en distinguent que par une bosse comme les autres ; ils ne s’en distinguent que par une tournure plus fine et plus élégante.