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de la vérité son unique passion, et qui n’accepte pour vrais que les faits démontrés par le raisonnement ou le témoignage des sens, n’est pas, comme on pourrait le craindre, taillée sur le modèle d’Armande. Elle n’est pas savante pour se montrer savante ; malgré les trésors amassés dans sa mémoire, elle demeure modeste. Elle écoute et comprend ce qui se dit autour d’elle sans éprouver jamais le désir d’étaler son savoir.

Mais, après avoir abordé tous les problèmes dont se compose la connaissance du monde extérieur, après avoir étudié toutes les causes secondes, Julie ne va pas au-delà ; en possession de toutes les vérités que nos yeux peuvent apercevoir, elle ne s’élève pas jusqu’à la cause première, jusqu’à la vérité suprême, jusqu’à Dieu. J’ai entendu blâme sévèrement l’athéisme de Julie, et je dois dire que je ne partage ni l’étonnement ni la colère que cet athéisme a excités chez bien des lecteurs. Oui, sans doute, une femme athée n’a rien qui plaise à l’imagination, rien qui attire le cœur, je le reconnais volontiers ; mais l’auteur de Raphaël pouvait-il dénaturer la vérité, pouvait-il douer de foi cette ame incrédule ? Puisqu’il raconte et n’invente pas, nous devons accepter comme lui toutes les singularités de la femme qu’il a nommée Julie, mais qui a vécu d’une vie réelle, qu’il a vue, qu’il a entendue, dont il se souvient, dont il nous offre l’image. Julie savante, Julie athée n’est pas une héroïne de roman, qu’importe ? puisque Raphaël n’est que la suite des Confidences.

L’athéisme de Julie donne à son affection pour Raphaël quelque chose d’étrange qui nous blesse d’abord, qui nous éloigne, mais qui bientôt excite notre curiosité et nous attache comme une plante inconnue dont la famille reste encore à deviner. Les entretiens de cette jeune femme avec l’homme qu’elle aime, la raison sévère et la tendresse profonde qui se révèlent dans toutes ses paroles, l’union inexpliquée de cette intelligence qui n’a ni âge ni sexe et de ce cœur plein de jeunesse et de passion, sont des traits que le goût pourrait désavouer dans une fiction, mais que nous devons accepter dans une biographie. On se demande avec effroi à quelle race appartient cette créature qui parle de Dieu en souriant, et qui pourtant s’émeut et s’attendrit en présence des merveilles de la création. Le bonheur qu’elle éprouve à se trouver près de Raphaël, à s’appuyer sur son bras, à gravir avec lui les roches escarpées, à s’égarer en l’écoutant dans les sentiers solitaires, ne semble pas pouvoir se concilier avec les études austères qui ont jusque-là rempli sa vie, avec l’incrédulité qu’elle a puisée dans la science, et pourtant Julie savante et athée, mais sincèrement éprise de Raphaël, est une figure pleine de charme et d’intérêt. Par quel miracle inespéré M. de Lamartine a-t-il su fondre dans une harmonieuse unité cette raison et ce cœur qui semblent s’exclure ? comment a-t-il amené, sur les lèvres, de la même femme des paroles tour à tour dérobées au