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a bien des mandarins de cette espèce parmi les auteurs de notre loi électorale, nous le savons, et sur ce point nous ne contredirons pas M. de Barante ; mais n’y a-t-il rien de vrai pourtant dans les inquiétudes que l’organisation et l’esprit de l’administration française inspiraient naguère à beaucoup d’amis sincères de la liberté, et qui sont devenues communes aujourd’hui parmi les défenseurs de l’ordre ? Ces inquiétudes qui se traduisent en protestations contre une centralisation excessive, en demandes de réformes et de simplifications financières, ces craintes exprimées tout haut, même dans un manifeste ministériel, de voir un pays libre transformé en nation de solliciteurs, n’y a-t-il aucun fondement à tout cela ? nous ne saurions le penser, et nous croyons que M de Barante en avait assez dit lui-même pour nous mettre sur la voie du vrai mal.

Il est impossible, en effet, de jeter les yeux sur l’état de notre société française sans être frappé de ces deux faits dont le rapprochement est étrange. D’une part, il est vrai, comme le dit M. de Barante, que les fonctions publiques sont ouvertes à tous, que tout ce qu’il y a de lumières et de capacités s’y donne en quelque sorte rendez-vous. Il y a plus même : tout le monde à peu près en France prétend à toutes les fonctions publiques ; il n’y a pas de père de famille qui n’y prépare ses enfans. Quand il faut trouver un homme éclairé pour quelque œuvre difficile, c’est toujours parmi les fonctionnaires publics qu’on va le chercher. Quand on veut ajouter un petit supplément à un patrimoine modeste, c’est aux fonctions publiques qu’on le demande. Quand on fait des révolutions, c’est sur les fonctions publiques qu’on se jette : en sortant de l’Hôtel-de-Ville, on va droit aux directions générales, on monte en diligence pour être substitut, receveur particulier, ingénieur des ponts-et-chaussées. Et pourtant, malgré cette facilité d’admission, malgré ce contact intime que nos mœurs auraient dû établir entre l’administration et la masse de la population, il n’y a presque jamais de sympathie véritable entre le pays et son gouvernement. L’administration se recrute dans tous les rangs, et s’ouvre à tous les mérites. Elle continue pourtant à faire une classe à part, elle reste pourtant partout étrangère là où elle n’est pas ennemie. Chacun a un parent, un fils, un neveu fonctionnaire, et chacun est de l’opposition. L’administration a pied partout et ne prend racine nulle part. Le gouvernement, c’est tout le monde, et tout le monde accuse le gouvernement. On ne sent pas un seul jour entre la nation et ceux qui la gouvernent cette solidarité patriotique qui fait la force des peuples libres. Les coups qui frappent le sommet n’ont point à la base de retentissement électrique. Il faut deux mois pour s’apercevoir que, quand le gouvernement est renversé, les particuliers sont ruinés.

Il y a plus d’une cause, sans doute, à cet incorrigible défaut de l’esprit