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souffle le voisin a demi-voix. — « Comment que tu dis, mon ami ? » reprend naïvement l’orateur, et l’auditoire de rire. On rit beaucoup du fatras déclamatoire de ces pompeuses nullités qui sont heureusement devenues plus rares à la tribune du palais législatif, mais qui s’en dédommagent à l’ombre du clocher. Un émule de M. Deville, M. Duffaur, propose l’impôt progressif au conseil des Hautes-Pyrénées, il cite de l’appui Jean-Jacques Rousseau C’est sans doute un homme qui a eu de la littérature ; il écorche un peu la citation ; on rit dans le public, car les débats ont maintenant leur public aussi nombreux qu’il en peut tenir. « Vous riez de Jean-Jacques s’écrie M. Duffaur, eh bien ! du fond de sa tombe, Jean-Jacques vous nargue et rit de vous. » Ce qui malheureusement prête moins à rire, c’est lorsqu’on rencontre ces arriérés de comptes, ces reliquats fâcheux que les premiers administrateurs de la république ont laissés derrière eux dans les départemens comme dans les ministères. Il y a eu de ces incidens à Rouen, à Angers et surtout dans le Puy-de-Dôme. M. Charras avouait bien que c’était mal de payer les bulletins électoraux d’un candidat avec les fonds du département, mais il a eu l’air de croire que c’était une revanche permise des mauvais tours de la monarchie. Voilà une conscience rigide !

La majorité était d’ailleurs évidemment acquise partout à l’opinion modérée ; c’est dans cette opinion qu’ont été choisis les présidens des conseils, même au sein des départemens où les doctrines démagogiques avaient pris le plus d’empire, comme l’ont prouvé les élections du 13 mai. Cette ferme et sage disposition des conseils-généraux s’est produite notamment dans des félicitations solennelles adressées au président de la république. Beaucoup de départemens ont voulu reconnaître ainsi les services réels rendus à la cause de l’ordre et de la société par la bonne attitude, par la prudence ordinaire du premier magistrat que le hasard et la constitution ont élevé au sommet de l’état. Nous approuvons ces remerciemens très mérités, et nous croyons que les excursions du président sur nos nouvelles lignes de fer sont pour lui d’excellentes occasions de se communiquer et d’apprendre. Il est essentiel, qu’il apprenne au contact de toutes ces populations diverses le profond besoin de paix et d’union qu’elles ressentent ; les paroles qu’il est appelé à prononcer dans ces rencontres sont faites d’autre part pour rassurer bien des inquiétudes. Cette campagne en chemin de fer aura été utile à tout le monde ; mais nous ne sommes pas fâchés, après tout, qu’elle soit finie : il y a toujours quelque risque à subir tant de discours, et il était temps d’ailleurs que M. Lacrosse se reposât de ses cavalcades.

À côté de la grande affaire d’Italie, qui est le nœud principal de toutes les complications étrangères, l’Europe poursuit le travail de reconstruction qui lui a été légué par l’année 1848. Ce travail n’est pas l’œuvre d’un jour, et l’on conçoit que l’on hésite beaucoup avant de jeter des fondemens quelconques, lorsqu’on a vu tous les fondemens de l’ancien ordre si vite emportés par l’orage. Faut-il donc remonter plus haut encore dans le passé qu’on ne l’avait fait au congrès pacificateurs de 1815 et de 1820 pour emprunter au vieux monde des bases plus solides que celle du nouveau ? Ou faut-il, au contraire, fouler aux pieds les restes de ces institutions antiques et bâtir à neuf un empire sans antécédens ? Singulier contraste ! ces deux procédés sont aujourd’hui les fantaisies systématiques et favorites des deux grandes cours allemandes. Chacune a le sien, et ni l’une ni l’autre n’a bien choisi. C’est l’Autriche qui se jette dans les nouveautés artificielles, quand les pays qu’elle veut gouverner