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la politique. Un des plus éminens jurisconsultes qu’aient eus les États-Unis, le chancelier Kent, de l’état de New-York, remarque, à propos de l’association industrielle, qu’elle a eu dans l’Union américaine des progrès parallèles à ceux de la richesse et de la civilisation. Tant qu’il ne s’est agi que d’associations simples analogues à nos sociétés en nom collectif ou en participation, à la faveur desquelles cinq, dix, vingt personnes ou plus sont assimilées, devant la loi, à une personne unique, la loi américaine, dans tous les états, est devenue de plus en plus commode et facile[1] ; mais, à propos des compagnies incorporées ou corporations qui répondent à nos sociétés anonymes et ont de même besoin d’une autorisation qu’en Amérique une loi spéciale peut seule décerner, la politique américaine a fait un écart. Dans l’origine, l’usage était de favoriser ces sociétés, lorsque, il y a quinze ou vingt ans, l’opinion dominante en prit ombrage Quelques-unes de ces compagnies, de la classe de celles qui font la banque, avaient commis des manquemens gravés. L’esprit de parti s’en est saisi et les a fait éclater aux yeux de la multitude pour exciter ses passions, à la manière du toréador espagnol qui agite un voile rouge devant le robuste et majestueux animal qu’on vient de lancer dans le cirque afin de le rendre furieux. On a ainsi allumé en Amérique la querelle, qui chez nous est devenue si menaçante, du travail contre le capital. On a dépeint le capitaliste comme un ennemi de l’ouvrier. On a étalé aux regards de la multitude le tableau de l’exploitation de l’homme par l’homme. « On a dit enfin tout ce qui chez nous, à la suite du 24 février, a éclaté à la face du soleil, en répandant la consternation parmi les hommes industrieux et paisibles et en ébranlant la société jusque dans ses fondemens.

Comme en Amérique la foule est beaucoup moins dépourvu d’instruction qu’en Europe, comme il est possible, par beaucoup de raisons, d’y mieux rétribuer le travail matériel, comme la race anglo-saxonne, quand elle est sans mélange, a bien plus que la nôtre le respect de la loi et de l’ordre établi ; comme enfin parmi les Anglo-Saxons la résistance au désordre matériel, s’il venait à se ruer sur la société, serait immédiate et énergique, les déclamations des démagogues contre les capitalistes et contre les compagnies en général n’ont point, de l’autre côté de l’Atlantique, occasionné les mêmes excès dont la France a été la victime. Elles ont cependant déterminé des démonstrations coupables et des actes législatifs dignes de blâme.

Dès l’origine, le législateur avait procédé, dans l’octroi des autorisations, avec une prudence qui empêchait l’influence des compagnies de

  1. Il n’y a cependant encore que la moitié des états qui aient acquis notre société en commandite, dont les avantages sont grands ; la loi anglaise ne reconnaît pas cette forme de société, qui a été imitée de nous dans le Massachusetts, le New-York, la Pensylvanie, la Louisiane et dix ou douze autres états.