Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donniez. Vous serez ce qu’il vous plaira : unitairien, méthodiste, anabaptiste, anglican, calviniste, luthérien ou même catholique[1] ; vous aurez la religion naturelle des quakers, nous vous permettrions presque d’être mahométan, jusques à la pluralité des femmes exclusivement ; mais vous honorerez Dieu, vous lui rendrez hommage dans un temple, sinon vous serez au ban de la société. De même vous aurez des mœurs rigoureusement pures ; vous respecterez profondément la femme de votre voisin ; jamais vos mains ne toucheront un jeu de cartes ; vous n’afficherez, aucun luxe. Sinon il n’y a ici pour vous que l’ostracisme. C’est ainsi que parlerait Caton le censeur, s’il vivait aux États-Unis ; c’est aussi ce qu’y a proclamé jusqu’à nos jours la voix de l’opinion. On assure que, depuis quelques années, la rigidité du sentiment public y mollit visiblement, que le luxe y prend pied, que, dans les grandes villes, les mœurs se relâchent. S’il en était ainsi, le pays deviendrait plus agréable à habiter pour l’opulence et les gens de plaisir ; mais la cause démocratique y serait compromise d’autant, et la république changerait de caractère, si même elle survivait.

La difficulté était de savoir si, pour maintenir l’esprit religieux et les principes de la morale, la loi devait être l’instrument principal ; en d’autres termes, si l’on aurait des lois somptuaires, des lois qui pénétrassent dans la vie privée, des lois dont la conscience même fût justiciable. Ce fut la détermination qu’on prit à l’époque de la fondation des colonies du nord-est, et particulièrement dans le Massachusetts. Il ne faut pas s’en étonner : c’était l’esprit de l’Europe elle-même alors. Les puritains qui, poursuivis pour leurs croyances en Europe, vinrent chercher un asile dans les forêts du Massachusetts et donnèrent au monde l’exemple de la première colonie que la religion seule eût fondée, outraient sur ce point les, idées de leur temps, dont ils avaient cependant tant eu à souffrir. Citez ces ames énergiques et rudes que l’injustice avait froissées, le protestantisme peu conciliant de Calvin fut porté jusqu’aux dernières exagérations. Une fois en Amérique, sur un sol vierge qu’aucune institution politique ou sociale n’encombrait, les puritains s’abandonnèrent à l’impétuosité de leurs penchans de réforme ils rejetèrent la tradition dont s’appuyait l’église romaine pour suivre l’autorité des Écritures, mais non pas à demi. La loi de Moïse pure et simple devint leur loi, non pas seulement religieuse, mais civile, mais politique. Les règlemens qu’un grand homme avait été chercher au mont Sinaï pour les imposer au vulgaire grossier des douze tribus qu’il venait d’arracher à l’esclavage des Égyptiens, durent, dans la lettre même, servir de code à des chrétiens du XVIIe siècle

  1. On verra un peu plus bas pourquoi nous mettons ici, en quelque sorte, le catholicisme à part.