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patrie. Sa parole était froide, son raisonnement ferme et serré ; mais sous ce langage de l’avocat, on sentait gronder la colère du patriote, une colère sourde qui s’échappait çà et là en de sinistres éclairs. M. Janiczewsky ne pouvait triompher. À cette apparition tragique d’un homme qui vient seul défendre sa patrie dans le sénat des oppresseurs, on opposa je ne sais quelle parade sentimentale, on fit défiler à la tribune les députés du duché de Posen, réclamant tous pour leurs frères et demandant en leur nom à ne pas être exclus de l’empire d’Allemagne. L’issue n’était pas douteuse ; la plus grande partie du duché de Posen fut incorporée à l’empire par une majorité considérable. Ce n’est là sans doute qu’un premier essai ; n’y a-t-il pas aussi des Allemands en Hongrie ? n’y en a-t-il pas à Venise et à Milan ? Pourquoi le parlement de Francfort n’a-t-il pas déclaré que la Hongrie et le royaume lombardo-Vénitien feraient partie du futur empire ? Avec ce principe-là, on peut aller loin, et, selon le système de Hegel, l’Allemagne, en vérité, ne finirait nulle part.

Ce vote sur le duché de Posen sera expié un jour. Si c’est un défi à ces populations slaves qui tendent à absorber l’Autriche et à la séparer de l’Allemagne, ce défi imprudent sera relevé par l’avenir. Déjà les Polonais de Posen, avec un vigoureux publiciste, peuvent répondre aux docteurs de Francfort : « Les Polonais et les Slaves peuvent et doivent s’unir. Ils le feront, n’en doutez pas ; ils le feront, même sur les cadavres de leurs frères, beaucoup plus tôt que les Allemagnes du nord et du midi ne réussiront à s’entendre sur la question impériale. Si divisés que nous soyons, votre unité ne nous fait pas envie[1]. »

La question du Schleswig-Holstein fut plus grave encore. L’iniquité du teutonisme s’y révéla avec une fureur nouvelle et entraîna d’odieuses conséquences. On connaît l’histoire de cette grande contestation qui s’agite depuis quatre ans déjà. La monarchie danoise menaçait de s’éteindre sans héritiers. Le fils unique du roi Christian VIII, marié deux fois et deux fois divorcé, n’avait pas eu d’enfans. Or, des trois duchés qui, avec le Jutland et les îles, composent cette monarchie, le Holstein et le Lauenbourg font partie de la confédération germanique ; le troisième, le Schleswig, renferme des Allemands en nombre assez considérable. Dès qu’on put prévoir l’ouverture prochaine de la succession danoise, le patriotisme germanique s’émut et convoita les trois duchés. La mort de Christian VIII, arrivée au mois de Janvier 1848, enflamma encore la cupidité allemande. Le dernier représentant de la dynastie, le nouveau roi Frédéric VII s’apprêtait à donner une constitution à ses états, afin de rallier plus intimement le

  1. C’est la conclusion de l’énergique brochure de M. Julien Klaczko, Die deutschen Hegemonen. Berlin, 1849.