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les atteindre, un chenal au travers des atterrissemens accumulés depuis dix-huit siècles ; à chaque coup de vent du large, l’entrée en serait obstruée par les sables : il vaudrait mieux ouvrir, de Salces au grau constamment abordable de la Franqui et le long même de l’étang, un canal maritime de 16 kilomètres de longueur. Ce travail, dont l’accroissement du tonnage local justifierait la dépense, se combinerait avec le colmatage des parties infectes de l’étang et concourrait efficacement à l’assainissement du pays.

Du passage de Salces et mieux encore des premières assises des Albères, l’œil embrasse la plaine du Roussillon et le vaste amphithéâtre de montagnes dans lequel elle est enceinte. Au centre s’élève un monticule couronné de tours qui la commande de tous côtés et se projette, suivant la position du spectateur, sur l’azur de la mer ou sur celui des montagnes. Ces tours sont celles le la citadelle de Perpignan, et leur aspect est celui du boulevard d’un grand empire.

Au sortir du vignoble de Rivesaltes, la campagne devient aussi fraîche et aussi verte qu’elle était auparavant sèche et nue. Le voyageur est dans la région des irrigations. Il entre dans l’ancienne capitale du royaume de Majorque par le Castillet, monument d’architecture militaire dont les formes portent l’empreinte du génie arabe. De puissante fortifications, auxquelles Alphonse V, Louis XI, Charles-Quint, Vauban, ont mis la main, enveloppent la ville : tout est riant à l’entour ; tout est sévère dans l’intérieur. Perpignan n’a de grand édifice que la cathédrale de Saint-Jean, commencée en 1324 et finie par Louis XI, qui a fait sceller les armes de France dans la voûte. Ses murailles de briques, ses rues étroites et tortueuses, ont l’aspect des vieilles cités espagnoles : on croirait ces sombres maisons encore habitées par les bourgeois guerriers du moyen-âge, et l’attitude grave et martiale de la population conserve, sous des costumes modernes, un reflet de l’énergie et des souffrances de ses ancêtres. L’histoire d’aucune ville d’Europe n’est, en effet, plus féconde en événemens tragiques que celle de Perpignan.

Les savans se sont divisés sur la question de savoir si le Ruscino des anciens occupait l’emplacement de Perpignan ou celui de Castel-Roussillon, situé à 4 kilomètres plus bas, également au pied d’une éminence et sur la rive droite de la Tet. Il n’est pas impossible que le même nom ait appartenu à l’un et à l’autre. L’habitude des Romains n’était pas de s’établir dans l’agglomération même des populations conquises ; ils bâtissaient la ville romaine à portée de la ville barbare, mais dans une position ordinairement mieux choisie. L’emplacement de Perpignan remplit, comme poste militaire, cette condition par rapport à Castel-Roussillon. Il est d’ailleurs à remarquer qu’en prenant pour point de départ le passage obligé de Salces, la ligne droite qui conduit à l’Illiberis gauloise, dont il sera question plus bas, traverse Castel--