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magne, et c’est ici un fait nouveau que M. de Tocqueville prend fort justement en considération, l’Allemagne, à mesure qu’elle se libéralise, se sépare de la Russie ; mais l’Allemagne ne peut se libéraliser efficacement que si le libéralisme est pour elle une cause d’affermissement, au lieu d’être une cause de troubles et de bouleversemens. Entre l’Allemagne libérale et la Russie les institutions élèvent une barrière qui devient la nôtre. De là l’intérêt que nous prenons à tout ce qui peut libéraliser l’Allemagne sans la troubler ; de là la sympathie que nous devons avoir pour l’essai que fait la Prusse d’avoir une Allemagne libérale et tranquille.

Si la France est démagogique, l’Allemagne est russe ; si la France est libérale, l’Allemagne est française, ou plutôt elle est indépendante et bienveillante à l’égard de la France.

Que résulte-t-il du débat qu’a si bien soutenu M. de Tocqueville à la chambre ? Il résulte : 1° que tout lien entre la démagogie de Bade et du Palatinat et la France est rompu, et que le gouvernement français déclare hautement que la cause de la démagogie est une cause qui nous est hostile et antipathique ; 2° que le danger d’une invasion russe contre nous n’est pas un danger présent et réel, d’abord parce que nous ne sommes pas et que nous ne voulons pas être la démagogie, ensuite parce que l’Angleterre amie de la paix, comme nous le voyons, et l’Allemagne libérale, comme nous l’espérons, n’aideront pas à cette invasion.

En résumé, la quinzaine est bonne. Le ministère a montré qu’il comprenait les devoirs que lui imposait la victoire du 13 juin, et, parmi ces devoirs, le plus impérieux est de ne pas laisser se renouveler les occasions de pareilles victoires. Il n’a donc pas hésité à achever par les lois l’œuvre de la force. Au dedans comme au dehors, il a été ferme et décisif : au dedans, témoignant par ses paroles et par ses actes qu’il voulait que force restât à la loi ; au dehors, rompant tout lien avec la démagogie, la combattant à Rome les armes à la main, et la répudiant en Allemagne. Deux questions maintenant, et deux questions vraiment diplomatiques, vont s’engager en Allemagne et en Italie. En Italie, quel sera, après que nous aurons pris Rome ; le sort des institutions libérales ? En Allemagne, quelle sera l’attitude de la Prusse, et comment se servira-t-elle du double triomphe qu’elle vient de remporter à Francfort sur l’unité germanique mal comprise, à Carlsruhe sur la démagogie ? Ou nous nous trompons fort, ou, dans la prochaine chronique, les événemens nous auront déjà apporté quelques lumières sur ces deux questions.


Les Russes ont enfin franchi sur plusieurs points la frontière hongroise ; quatre-vingt-sept mille hommes sont en marche et prennent position dans les comitats du nord. Quelques-uns ont déjà combattu avec avantage. Ce ne sont point encore là les deux cent mille hommes que le czar a promis à l’empereur d’Autriche ; mais, avec quelques efforts, si la situation de la Pologne ne devient pas plus menaçante, et si la Turquie, contenue par le dernier traité, ne donne point d’alarmes, le chiffre de l’armée russe pourra être porté prochainement à cent cinquante mille hommes. L’armée autrichienne s’est, de son côté, peu à peu