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LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

Sur l’ordre du colonel Berthier, on prit le trot pour rejoindre le général. À peine étions-nous formés en bataille, que le peloton de M. Paulz d’Yvoie, qui venait de charger, appuyé par une compagnie de tirailleurs indigènes, vint se rallier à nous. La charge avait été vigoureuse ; vaillamment conduits, les trente hommes commandés par M. Paulz d’Yvoie avaient dignement soutenu l’honneur du 4e chasseurs. On n’a pas oublié le dévouement et le courage de ce brave Geffines, qui, après avoir dégagé et relevé le fourrier Parizot sous une grêle de balles, sauve, au péril de sa vie, un autre de ses compagnons d’armes, le chasseur Mazères, court au drapeau agité fièrement par un cavalier arabe, le saisi après une lutte acharnée, et tombe enfin criblé de blessures, mais serrant sur son cœur ce drapeau[1], trophée de sa gloire !

La vigoureuse offensive de nos chasseurs donna un peu de repos à la colonne. On en profita pour attacher les morts et les blessés sur les cacolets qui se tenaient à l’arrière-garde, attendant leur charge funèbre. Le chasseur Mazères, un des vaillans compagnons de Geffines, n’était pas encore mis sur son mulet, que déjà sa préoccupation, sa seule pensée était son cheval. C’est là une des marques auxquelles on reconnaît un digne et brave soldat. Celui-là seul peut savoir ce que vaut un bon cheval, qui a veillé et combattu sur lui et qui bien souvent s’est dit : « Sans ces quatre jambes nerveuses qui galopent à mon ordre, où serais-je maintenant ? »

Les morts et les blessés avaient été emportés, les armes, les harnachemens des chevaux soigneusement enlevés. Seul, un blessé restait sur le champ de bataille : c’était un soldat indigène, un Turc. Penché sur la blessure de cet homme, un de nos chirurgiens, sans s’inquiéter des balles, l’examinait avec soin. La gravité de la plaie était telle que l’on ne pouvait tarder ; si l’on voulait sauver le blessé, l’amputation immédiate était nécessaire. Le général donna aussitôt l’ordre à l’arrière-garde de tenir. À gauche du chemin se trouvait un gros caroubier ; on y porta le soldat, et sous l’ombrage séculaire, au milieu des balles, l’opération fut entreprise par nos chirurgiens militaires, pendant que, sur la droite, à dix pas, deux petites pièces d’artillerie, commandées par M. de Berkheim, se plaçaient en batterie, entraînant dans leur bruit les gémissemens du blessé. Un peu plus loin, en bataille derrière un pli de terrain, nous étions prêts à charger, si besoin était, tandis qu’une ligne de tirailleurs indigènes tenaient bon pour que leur camarade fût sauvé. En moins de cinq minutes, l’homme était amputé, placé sur une litière, et nous poursuivions notre marche en avant.

Cependant l’ardeur de l’ennemi s’était ralentie. Dès que nous fûmes

  1. Ce drapeau est au cercle des officiers du 4e chasseurs d’Afrique à Mostaganem, entre les deux tambours des réguliers de Ben-Allall, prix par les escadrons du même régiment.