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LA VIE MILITAIRE EN AFRIQUE.

moment, si nos rapports étaient fidèles, ces catacombes devaient contenir une grande partie du butin et des richesses d’une fraction des Flittas. On ajoutait même qu’un grand nombre s’y était réfugié, et nous étions bien décidés à nous en assurer ; plusieurs cachettes furent explorées inutilement, mais enfin, vers le milieu de la ravine, deux soldats qui se présentaient en rampant à l’un de ces orifices souterrains reçoivent deux balles qui leur cassent la tête. Au même instant, à notre droite, à notre gauche, comme par autant de meurtrières, les balles tombent sur nous, plus pressées que la grêle. Certes, la situation était difficile. Comment s’en tirer ? Attaquer de front, c’était aller en procession à la mort ; tourner l’ennemi, impossible, et pourtant, à tout prix, il nous fallait venir à bout de cet obstacle. En vain on les menace, en vain on leur promet la vie sauve, ils ne veulent rien entendre. Que faire alors ? Employer l’éloquence d’action, la plus persuasive de toutes, enfumer le renard dans son terrier. Nous voilà donc faisant des fascines : en guise de prologue, on en jeta deux ou trois enflammées à l’entrée de la caverne, puis la conversation fut reprise avec aussi peu de succès que la première fois. Ils refusaient de sortir. Force fut alors de jeter d’autres fascines enflammées, puis l’on attendit. Il faut rendre justice à ces braves gens, que, tant qu’ils eurent un peu d’air à respirer, ils résistèrent. Enfin, le feu et la fumée furent les plus forts, et la caverne se rendit à merci. Alors moutons et chèvres, femmes, hommes et enfans, sortirent de dessous terre et vinrent se remettre en nos mains.

Fort heureusement pour nous, à ces scènes terribles il en succédait souvent de gracieuses. C’était tantôt une excursion commencée avec l’espoir de rencontrer l’ennemi, et qui, au lieu de se terminer par un combat, nous conduisait dans quelque fraîche oasis ou dans quelque pittoresque cité arabe. Tantôt encore c’étaient de longues et paisibles soirées passées entre des pipes et du café, sous les tentes de nos auxiliaires indigènes. Un soir, entre autres, nous entrâmes chez Mustapha-ben-Dif. Mustapha occupait une grande tente de laine blanche, la grande tente de guerre et de voyage des chefs. Trois poteaux de neufs pieds la soutenaient, et deux cordes, partant des sommets extérieurs, la maintenaient contre le vent ; on eût dit les deux ancres d’un navire. Il y avait ce soir-là une réunion nombreuse sous la tente de Mustapha. Le maître de la maison, à demi couché sur d’épais coussins, présidait, la pipe à la main, à cette réunion silencieuse. Près de lui étaient assis deux maréchaux-de-logis de spahis de l’escadron d’Orléansville, l’un jeune et alerte, l’autre vieux et à la barbe grise, mais d’une vivacité toute juvénile ; ce dernier avait nom Mohamed. Dans le fond se tenaient les serviteurs, les intimes. Des selles, des harnachemens, des armes, étaient la décoration de cet appartement princier. Tous écoutaient