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REVUE DES DEUX MONDES.

RHETO.

Mais vous du moins, madame, épargnez-vous un spectacle…

LA COMTESSE.

Ma place est auprès de mon mari.

(Clameurs dans la cour et sur l’escalier : À mort ! à la guillotine ! à bas les traîtres !

Rheto fait un geste de désespoir.)

LE COMTE.

Mon pauvre Rheto, je crains qu’on ne vous suspecte. Faites preuve de vertu et portez-moi le premier coup.

RHETO.

Monsieur, par grâce, sauvez-vous, cachez-vous.

LE COMTE.

Allons, mon cher, taisez-vous !… Voyons, voulez-vous vraiment nous sauver ?

RHETO.

N’en doutez pas.

LE COMTE.

C’est qu’il faut du cœur. Placez-vous à cette porte, vos pistolets au poing. Déclarez qu’on vous passera sur le corps avant d’arriver à moi, et faites feu sur le premier qui voudra passer. Si vous y mettez assez d’énergie, ils reculeront.

RHETO.

Ne l’espérez pas.

LE COMTE.

Essayez toujours.

RHETO.

C’est que… (Il hésite.)

LE COMTE.

Vous avez peur.

RHETO.

Ils sont capables de me tuer.

LE COMTE.

Ce serait grand dommage que vous mouriez en homme d’honneur… Tenez, monsieur Rheto, vous et vos pareils, vous ferez bien d’égorger les honnêtes gens, car, pour les gouverner, vous n’y parviendrez jamais, et à la fin ils vous enverraient aux galères. Sortez !

(Rheto déconcerté se retire. Le comte ferme la porte et s’approche de sa femme, restée en prières. On entend toujours vociférer dans la cour.)
LE COMTE.

Adélaïde, ta prière est exaucée. Me voici à genoux près de toi, priant le Dieu que tes vertus m’ont fait croire. Sois bénie pour tes vertus, femme chrétienne. Dans mes plus grands oublis, je t’ai vénérée, et j’ai cru que tu m’adoucirais la mort. Mon Dieu ! je vous offre le sacrifice de ma vie. Je vous rends grâce de m’épargner le spectacle de vos colères. Je vous demande pardon de mes fautes et de n’avoir pas assez connu et assez respecté les lois par lesquelles vivent les nations. Nous sommes punis justement.

LA COMTESSE.

Dis que tu meurs sans haine pour tes bourreaux.