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trajet, M. Bastide, mettant le temps à profit, lui donna des leçons de protocole révolutionnaire et d’étiquette républicaine.


IV

Voici en substance quelle était la politique devant laquelle M. de Lamartine affirme qu’il fit taire ses sentimens dans la journée du 24 février ; ce sont du moins les raisons qu’il donna au conciliabule républicain tenu avant la séance, pour adopter immédiatement la république au lieu de la régence. M. de Lamartine repoussait la régence, « parce qu’elle ne serait, disait-il, que la fronde du peuple avec l’élément communiste de plus ; parce que le peuple, calmé un moment par la proclamation de la régence, reviendrait le lendemain à l’assaut pour arracher une autre nouveauté ; parce que chacune de ces manifestations irrésistibles emporterait un dernier lambeau du pouvoir ; parce qu’alors on tomberait dans le 93 de la misère, du fanatisme, du socialisme, dans la guerre civile de la faim et de la propriété ; parce que, en voulant arrêter une femme et un enfant sur la pente d’un détrônement pacifique, on ferait router la France, la propriété, la famille, dans un abîme d’anarchie et de sang. »

J’avoue qu’il me paraît sans intérêt de discuter les conséquences éventuelles d’un fait qui ne s’est point accompli je ne veux pas me faire l’avocat posthume de la régence ; mais, ayant à juger M. de Lamartine comme homme politique, je ne peux m’empêcher de retourner contre lui l’écrasant témoignage de ses paroles, car enfin les résultats qu’il attribuait à la régence demeurent hypothétiques ; ces résultats ont été, au contraire, littéralement réalisés par cette révolution que M. de Lamartine a consommée sous prétexte de les écarter. Qu’avons-nous vu, en effet, depuis le 24 février et tant que M. de Lamartine est resté au gouvernement ? Le peuple, excité plutôt que calmé par la proclamation de la république, est revenu le lendemain à l’assaut pour arracher d’autres nouveautés ; chacune des manifestations qui assaillaient le gouvernement provisoire emportait un dernier lambeau du pouvoir ; on est tombé un instant dans la guerre civile de la faim et de la propriété, et enfin la France, la propriété, la famille, ont roulé, le 23 juin, dans un abîme d’anarchie et de sang, et, quand elles en sont sorties, M. de Lamartine n’était plus au pouvoir.

Toute l’histoire de M. de Lamartine au gouvernement provisoire est enfermée dans cette contradiction. Les républicains de la veille, depuis M. Goudchaux jusqu’à M. Proudhon, ont attribué l’avortement de leur parti et les malheurs de la France depuis février à ce seul fait, que la république est arrivée trop tôt et les a surpris sans idées mûries, sans projets arrêtés, sans politique immédiatement applicable.