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L’HISTOIRE DE LA CARICATURE.

adresses de remercîmens à la couronne pour avoir exercé sa prérogative contre le palladium des libertés populaires… Grace à cette frénésie momentanée qui saisit quelquefois une nation comme un grand animal, le pays est pris d’une telle haine contre la coalition et M. Fox, que là même où l’or a gardé sa toute-puissance, les élections sont des plus rudes. Les grandes familles whigs, les Cavendish, les Rockingham, les Bedford ont perdu toute influence dans leurs propres comtés ; on leur a même escamoté des siéges dans des localités qui leur appartenaient en entier. Dans plusieurs cas, un doigt royal a évidemment proscrit des noms tels que ceux de lord North et de lord Hertford. Un semblable ostracisme n’était peut-être pas prudent, car le succès permanent est un joyau qu’une couronne n’est pas sûre de toujours conserver. » Il est impossible d’exprimer plus naïvement que ne le fait ici Walpole le scandale qu’inspirait aux grands aristocrates whigs toute intrusion dans leurs bourgs pourris.

Ces élections de 1784 sont restées célèbres à Londres par la lutte électorale de Westminster entre Fox et les deux candidats de la cour, sir Cecil Wray et lord Hood. Ce fut une des plus violentes dont on ait gardé la tradition. Il est vrai que dans ce temps-là le poll ou scrutin public restait ouvert pendant six semaines ; ainsi celui de Westminster dura depuis le 1er avril jusqu’au 17 mai. Dans le commencement, c’était Fox qui était en arrière ; lord Hood avait engagé un corps de matelots qui s’étaient emparés des hustings et en empêchaient l’accès. Fox, de son côté, avait enrôlé les porteurs de chaises, alors fort nombreux, et presque tous Irlandais, c’est-à-dire les premiers dans les émeutes. Ces deux armées occupèrent le quartier de Westminster pendant six semaines, se livrant presque chaque jour des batailles souvent sanglantes. Le roi se faisait, dit-on, apporter heure par heure les résultats du poll ; mais il avait contre lui son fils, le prince de Galles, partisan déterminé de Fox et publiquement enrôlé dans l’opposition. Une caricature représente le prince complètement ivre, soutenu d’un côté par Fox, et de l’autre par un cabaretier nommé Samuel House, une autre figure très connue alors. Ce Sam était un original remarquable par sa tête parfaitement chauve et par son costume invariablement composé d’une jaquette et d’une culotte de nankin. Il portait son gilet toujours ouvert, avec du linge remarquablement blanc, et lorsqu’il n’avait pas, selon son ordinaire, les jambes nues, il portait des bas de la soie la plus fine. On le voit ainsi dans toutes les caricatures. Il était un des plus chauds partisans de Fox, et tint maison ouverte pendant tout le temps de l’élection. Cependant le grand électeur ou plutôt la grande électrice de Fox fut la duchesse de Devonshire, sans rivale alors pour la beauté et pour l’esprit. Avec un cortège de jeunes femmes appartenant aussi à l’aristocratie whig, elle allait tous les jours au poll, portant les couleurs de son candidat