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événemens une direction plus droite, eût empêché sans nul doute l’affreuse confusion où l’Allemagne est plongée aujourd’hui.

Précisément à l’époque où le roi de Prusse adoptait, comme disent nos voisins, les doctrines du particularisme, un des chefs de la démagogie allemande, M. Arnold Ruge, faisait la même chose dans un intérêt tout différent ; il se révoltait aussi, contre l’assemblée de Francfort, et, donnant sa démission avec un dédain superbe, il partait pour Berlin, la seule ville digne d’être le théâtre des idées nouvelles, la seule capitale de la démocratie. Ainsi, tandis que les conseillers secrets de Frédéric-Guillaume lui disaient imprudemment : « C’est à Berlin seul et non à Francfort que nous pouvons relever le drapeau de l’ordre et triompher de l’esprit révolutionnaire, » M. Arnold Ruge s’écriait : « Francfort est un village, le parlement est une assemblée de paysans ; c’est à Berlin que la démocratie gagnera ses grandes batailles. » En disant cela, M. Ruge ne comptait pas seulement sur les clubs, sur les réunions populaires, sur les désordres permanens de la place publique ; il voulait former à Berlin une nouvelle assemblée nationale, et il l’appelait d’avance le contre-parlement (Gegenparlament). Des députés de la seconde chambre du royaume de Saxe, MM. Helbig, Evans, Tzschirner, s’étaient rendus à son appel pour constituer cette convention. Les démagogues berlinois, M. Held, M. Waldeck, M. d’Ester, M. le comte Reichenbach, péroraient chaque soir dans les tavernes ; le club des Tilleuls semblait un forum continuellement ouvert aux fureurs de la populace ; l’irritation, en un mot, était entretenue sans relâche et préparait les entreprises de M. Ruge. C’était vers la fin d’octobre que le parlement démocratique devait tenir sa première séance. Sur ces entrefaites, le ministère libéral de M. Hansemann ayant fait place à l’administration de M. de Pfuel, il fut évident qu’une sombre colère poussait l’un contre l’autre les deux partis extrêmes. D’un côté, la réaction appuyée sur l’armée ; de l’autre, M. Arnold Ruge et le contre-parlement, tel était à Berlin, quelques semaines après le 18 septembre, l’acharnement des passions contraires. Combien la lutte eût été plus violente, si les insurgés eussent remporté la victoire !

La situation de Vienne est-elle meilleure ? Tandis que le parlement de Francfort s’agite sous le coup des émotions de septembre, tandis que Berlin est en proie à l’esprit révolutionnaire et que le congrès de M. Arnold Ruge entretient l’effervescence démocratique dans toute l’Allemagne du nord, y a-t-il du moins un peu de calme et de tranquillité dans le midi ? Non ; l’Autriche est encore plus bouleversée que la Prusse. Aux luttes politiques s’ajoutent les luttes nationales, aux guerres de partis les guerres de races. Depuis le mois de mars, il y a déjà eu deux révolutions à et la troisième va éclater. Cette troisième révolution, la révolution du 6 octobre, sera bien autrement grave que les deux