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LES EAUX DE SPA.

rée par ces jeunes gens de race royale qu’on appelait les princes de la jeunesse. Je les vois encore arrivant à Lille au bruit du canon, au son des cloches, au milieu de l’enthousiasme populaire. Le brillant capitaine qui leur faisait en ce moment les honneurs de la ville militaire, c’était le lieutenant-général Négrier, assassiné sur les barricades de juin, où il est mort de la mort du saint archevêque. Beau et brave général ! il prenait si bien sa bonne part de ces fêtes pacifiques ! Il suivit avec tant de joie et d’ardeur ces jeunes gens qu’il avait appris à connaître sur le champ de bataille ! Il les suivit jusqu’à Bruxelles, entre ces deux peuples qui remplissaient ces deux prairies. Les saluts, les vivats, les fêtes, le bal au milieu de la gare du chemin de fer étonnée de servir à de pareils amusemens, — c’est un rêve, tout cela, un rêve évanoui on ne sait où, car à peine la salle du bal était rendue à sa destination ; le dernier lustre du dernier festin fumait encore, que, sur ce même sentier de triomphe et de plaisir, la veuve du prince royal et l’enfant héritier d’une si grande monarchie prenaient en tremblant le chemin de l’exil.

Nous voilà donc à Bruxelles. On y reste tout le soir : la vie est facile, la ville est hospitalière. Certes, et depuis bien des années, la ville de Bruxelles n’était guère contente des hôtes que lui envoyait la France : un tas d’hommes flétris par la banqueroute ou perdus par l’usure, des écrivains sans nom, des femmes sans mœurs, ce qu’il y a de plus vil et de plus abominable dans la presse des calomnies, des repris de justice de l’injure publique et privée. Tristes hôtes en effet, d’autant plus qu’à peine arrivés, le premier soin de ces nouveaux venus était de recommencer le cours de leurs fredaines ! — La révolution de février aura du moins envoyé à la Belgique des hôtes dont elle pouvait être fière ; aussi ces exilés d’un nouveau genre ont-ils vu s’ouvrir devant eux toutes les portes. Vaincus, ils étaient entrés entourés d’estime et de sympathies. Plus la chute avait été terrible, et plus l’homme tombé était digne d’intérêt et de pitié. À la fin donc, Paris envoyait à la Belgique des ames honnêtes, des esprits distingués, les proscrits de sa politique et non pas les vagabonds de sa police correctionnelle. Cette nouveauté a raccommodé la Belgique avec la France. C’est toujours un spectacle rempli d’enseignemens salutaires, le spectacle des hommes tombés de très haut, soit que le génie leur ait manqué, soit que la fortune les ait trahis, et les nations qui se respectent, contemplant les héros de ces grandes infortunes, comprennent bien vite le respect qui leur est dû. Bruxelles n’a pas manqué à cette loi d’attraction ; elle a accueilli à merveille les hommes d’une monarchie qui avait duré déjà si long-temps, qui avait été fondée avec tant de bonheur, maintenue avec tant de prudence, et qui avait pour défenseurs naturels un chef si sage et si habile, tant de jeunes gens, enfans du sceptre et de l’épée.