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LES EAUX DE SPA.

toit solide pour abriter ces tempêtes, une nation forte pour recevoir sans danger des hôtes de ce calibre, un gouvernement sûr de lui-même pour ne pas s’inquiéter de ces langues de feu qui produisent sur les esprits médiocres le même effet que des lampes ardentes jetées sur des gerbes de blé.

Un autre résultat de tant de révolutions qui courent le monde, au hasard, semblables à ces jeunes personnes de moyenne vertu qui se mettent en voyage sans trop savoir comment suffire aux frais de la route (comme si la Providence avait charge d’ames sur les révolutions et les demoiselles errantes !), c’est que non-seulement la Belgique est devenue un lieu de passage pour nos Brutus et nos Catons de contrebande, mais encore autour de ce petit royaume si réservé et si sage tous les sentiers sont fermés, qui conduisaient naguère dans toutes les contrées heureuses de l’Allemagne pacifique. Qu’a-t-on fait de ces enchantemens de l’été ? Le Rhin allemand, disait la chanson, qui roulait dans son flot paisible et grondeur tant de légendes et tant de ballades, le vieux père Rhin, ami du vin et de la joie autour des tables servies que le fort emporte avec les convives et les chanteurs, est devenu aujourd’hui (c’est la loi de la guerre) le fleuve des émeutes, des batailles, des révolutions, des contre-révolutions ! — Ce chemin, qui marchait d’un pas leste et solennel à travers les précipices verts et les ruines augustes, se traîne aujourd’hui au milieu des peuples qui hurlent, des nations qui pleurent, des royautés qui gémissent entre ses deux rives tremblantes et désolées ! L’Allemagne a perdu son printemps, le fleuve allemand a perdu son été, tout comme la Suisse en tumulte a perdu sa moisson opulente, c’est-à-dire le voyageur qui paie et qui couvre d’or les glaces et les neiges, aujourd’hui stériles. Pauvres nations ! elles étaient faites tout exprès pour la fantaisie de l’artiste, pour la rêverie du poète, pour le pèlerinage de l’amoureux, pour les joies et pour les passions de la jeunesse. Hélas ! pas un regard humain ne les saurait reconnaître, ces frais passages dévastés par la guerre ! La peur a tout flétri ! La peur (la peur avec l’envie) est devenue l’ame du monde ! Tout est changé : les villages les plus cachés se plaignent de leur position trop éclatante ; les fortunes les plus humbles comprennent qu’elles ont encore quelque chose à perdre. Pas de maison si pauvre qui ne ferme sa porte avec soin, car, à tout prendre, l’émeute peut passer dans ce village, elle peut dévaster cette humble maison ! Plus de sécurité pour personne, plus de faciles sommeils ! Entendez-vous le canon ? entendez-vous le tambour ? entendez-vous, chose plus horrible ! le Mirabeau déguenillé du socialisme, debout sur la borne du chemin, qui déclame en son patois les plus furieux et les plus dangereux paradoxes empreints de fiel, de venin et d’ignorance ? Ces vi-