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eût été son épouvante et sa douleur ! L’horrible métier pour un mort, et pour un mort de cette taille, de raconter à des ames indifférentes ses peines, ses passions, ses douleurs, ses triomphes, au même lieu, à la même place où se déroule incessamment l’histoire futile et passagère des comédiens et des comédiennes de chaque semaine ! Le Génie du Christianisme, ô ciel ! qui se raconte ici même, entre un drame de la Porte-Saint-Martin et une comédie de la Gaieté ! Heureusement que le journal passe et que le livre reste ; le livre aura bientôt rendu à l’œuvre immortelle la place méritée dans nos louanges et dans nos respects.

Pour ma part, j’ai l’ame remplie encore de cette prose abondante comme l’eau d’un grand fleuve ; mon regard reste ébloui de ces tableaux tracés avec tant d’art, qu’il faut y regarder à deux fois pour comprendre que vous avez sous les yeux l’œuvre d’un très grand peintre ; mon cœur est encore agité des passions de ce jeune homme, des colères de ce géant, lorsque, prenant à partie les scélératesses et les crimes de la terreur, il traîne les coupables dans les justes châtimens de sa parole. — « Ami, dans les loisirs du mois de juin, je viens de relire les livres d’un grand poète qui vivait il y a cinq cents années, et j’ai rencontré dans ces pages immortelles des leçons de la plus haute et de la plus humaine sagesse. Avec quelle grace et quelle puissance mon poète nous démontre les dangers et la laideur du vice, la grace et les mérites de la vertu ! Faites comme moi, relisez tous les ans ces chapitres où respire l’immortalité et le génie. Où trouverez-vous, je vous prie, un plus fidèle tableau des folles passions qui excitent les peuples et les rois ? » Vous reconnaissez ce passage : c’est la traduction d’une épître d’Horace à Lollius ; Horace venait de relire les poèmes d’Homère. Eh bien ! la même louange dans la postérité atteindra, je l’espère, les Mémoires de M. de Chateaubriand. Non ce n’est pas l’Iliade, non ce n’est pas l’Odyssée ; mais c’est le même drame, ce sont les mêmes élémens mis en œuvre. Cette fois encore il s’agit de la lutte ardente de la civilisation et de la barbarie, de l’aveuglement des rois et des emportemens populaires. M. de Chateaubriand les traite avec le même dédain et les mêmes colères que le divin Homère, ces factieux, ces impatiens, ces violateurs de l’hospitalité sacrée, ces Thersites ! Qui que vous soyez, hommes et nations, apprenez par ces exemples à vous défendre, à vous protéger vous-mêmes. Honte à l’imprudent qui s’endort dans le péril en disant : Nous verrons demain ! Malheur à qui se dit : Je suis esclave aujourd’hui, demain je briserai mes fers ! Je suis malade, je me guérirai demain ! — Insensé, tu veux être sage et libre, commence donc à l’instant même ; tu veux sauver la patrie attaquée, sauve-la, sinon tu vas ressembler à ce villageois qui attend que le fleuve s’écoule afin de le passer à pied sec.