Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/438

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
432
REVUE DES DEUX MONDES.

PREMIER PAYSAN.

Pardine ! il avait démoli l’autre. Va dans son toit à porcs, tu trouveras encore les marbres de l’autel. (Les femmes baissent la tête en pleurant.)

GERVAIS, bas.

Que n’ai-je mon fusil !

SECOND PAYSAN.

Et la ferme, à qui était-elle ? Aux moines. Combien lui a-t-elle coûté ? Ce qu’elle nous coûte.

PREMIER PAYSAN.

Nous partageons en frères. Il avait pris tout pour lui seul.

LE VIEUX GERVAIS.

J’ai payé la terre, mais je n’avais pas payé le crime ; maintenant, je le paie. Vous paierez le vôtre, et bientôt. (À son fils.) Gervais, mène-moi là-bas, sur ce fumier.

GERVAIS.

Pourquoi, mon père ?

LE VIEUX GERVAIS.

C’est là que le prieur est mort, âgé comme je le suis. Moi, je riais à cette fenêtre, la bouteille en main ; lui, râlait sur ce fumier. Il me dit que j’y viendrais à mon tour. Conduis-moi.

GERVAIS.

Non, mon père.

LE VIEUX GERVAIS.

J’irai donc tout seul. (Il se dirige en chancelant vers le fumier, l’atteint, tombe et meurt, la main tendue vers la maison. Les fenêtres se ferment.)

GERVAIS, à son enfant.

Écoute, garçon. Tu vois, ils ont tué ton grand-père, ils prennent ma maison, qui devait t’appartenir. Nous étions les plus aisés de la commune ; nous voici à la besace. Je vais emmener les femmes. Toi, tu resteras ; tu te cacheras par là dans les halliers, et tu reviendras à la nuit. Ils seront encore à boire notre vin. Tu attendras qu’ils soient soûls tous ; tu rentreras alors. Sans faire semblant de rien, tu fermeras à clé toutes les portes et puis tu iras dans la grange, au grenier, dans l’écurie, dans l’étable…

LE PETIT GERVAIS.

Et je mettrai le feu, pas vrai ?… Oui, père,… et je le mettrai aussi aux meules sous le vent, et j’ouvrirai aussi l’écluse pour qu’il n’y ait pas d’eau, et je couperai la corde du puits, et je lâcherai les chiens sur ceux qui pourraient s’ensauver. Et si tu veux m’attendre aux quatre ormes, je t’apporterai bien ton fusil, va, pour tuer les gens de Bromeil, lorsqu’ils viendront avec leur pompe.


IV.

Dans l’ouest. — Un village.


Benoît et sa femme sont assis sur un banc, au seuil de leur maison. Le mur est tapissé d’une vigne et d’un églantier en fleurs. Quatre heures sonnent au clocher.
BENOÎT.

Allons, femme, voici l’heure. Nos hommes vont se réunir ici pour se rendre