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PITT ET LES FINANCES ANGLAISES.

produits, et ne recevait de l’état qu’un faible fonds de secours pour le bas clergé. L’enseignement était donné dans de riches universités qui se soutenaient par elles-mêmes. Dans ce pays de liberté spontanée, tout ce qui avait pu se constituer en dehors du gouvernement avait son existence propre. Il ne restait à la charge du trésor publique que les dépenses générales proprement dites, c’est-à-dire celles qui se rattachaient à la dette nationale, à la défense du pays et à la personne du souverain ; mais ces dépenses avaient été portées par la guerre d’Amérique à un chiffre énorme pour le temps et hors de proportion avec les ressources.

Les plus considérables de toutes étaient sans comparaison celles des deux dettes. L’Angleterre avait déjà, à cette époque, une dette fondée de 224 millions sterling ou environ 5 milliards et demi de fr. en capital et de 8 millions sterling ou 200 millions de francs en intérêts, et une dette flottante de 20 millions sterling ou 500 millions de francs en capital et d’un million sterling ou 25 millions de francs en intérêts. C’était donc en tout 6 milliards de francs de capital et 225 millions de francs d’intérêts annuels, c’est-à-dire plus que n’était 1er janvier 1848 et que ne serait encore aujourd’hui, sans la révolution de février, la dette publique de la France[1]. Cet énorme découvert, dont aucune autre nation de l’Europe n’aurait pu seulement alors concevoir la pensée, et qui s’est cependant démesurément accru depuis, sans nuire à la prospérité de la nation anglaise, n’avait guère commencé à se former qu’un siècle auparavant.

Jusqu’à la révolution de 1688, il n’y avait point, à proprement parler, de dette publique en Angleterre. Les rois contractaient, pour leurs besoins, des dettes personnelles, et si le parlement venait quelquefois à leur secours, ce n’était que par une grace spéciale et qui n’engageait à rien pour l’avenir. Les dépenses de la guerre elles-mêmes étaient considérées dans ces temps comme personnelles au monarque. On raconte que le roi Richard II, ayant formé le projet d’envahir la France avec une armée, trouva l’échiquier trop pauvre pour subvenir aux frais de cette expédition ; il assembla les principaux marchands de Londres et des villes les plus riches pour leur proposer un emprunt ; ceux-ci refusèrent de rien prêter sans la garantie du parlement. Le parlement fut assemblé aussitôt ; quand il demanda quelle était la somme nécessaire, on lui répondit 60,000 livres (1,500,000 fr.) ; c’était pour cette faible somme

  1. La dette publique de la France se composait au 1er janvier 1848, 1o de la dette consolidée, s’élevant en intérêts à 243 millions ; 2o de la dette flottante, s’élevant en intérêts à 29 millions. Ces chiffres s’accroissaient de l’emprunt des canaux, dont l’intérêt annuel est d’environ 6 millions ; mais ils devaient être diminués, pour établir la comparaison avec la dette anglaise de 1783, des 68 millions de rentes rachetées de l’amortissement, ce qui faisait ressortir à 210 millions la somme d’intérêts à payer réellement par an.