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LE LENDEMAIN DE LA VICTOIRE.

LE CONSUL.

Quelle monstruosité !

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

C’est la traite.

LE MINISTRE DE l’INSTRUCTION PUBLIQUE.

Comment ! la traite ?

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS.

L’expression me semble exagérée. Je ne vois pas ce que l’exportation a de plus affreux que la déportation ou la transportation.

LE MINISTRE DU COMMERCE.

On pourra n’exporter que celles qui donneront leur consentement ; elles ne se trouveraient pas en petit nombre. Toutes les mesures d’ailleurs seraient prises pour que l’opération se fît avec convenance et humanité.

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

Mais quand même vous n’exporteriez que les femmes qui voudraient partir, plusieurs ont des maris, des familles dont vous devez respecter les droits.

LE MINISTRE DE l’INSTRUCTION PUBLIQUE.

Les droits ! cette parole est étrange. Après l’état, personne n’a de droits sur l’individu que l’individu lui-même. Le ministre des affaires étrangères oublie perpétuellement les résultats et l’esprit de la révolution dont il est le ministre. Ignore-t-il que déjà le divorce a rendu les droits égaux dans le ménage, que la petite famille, la famille caste, doit disparaître graduellement, mais rapidement dans cette grande famille humanitaire qui s’appelle la patrie, et qui s’appellera un jour le genre humain ? Le projet du ministre du commerce mérite d’être pris en sérieuse considération, non-seulement par le côté économique et politique, mais encore au point de vue social, moral et civilisateur. Il nous offre l’occasion de briser quelques-uns des préjugés qui limitent encore la puissance de l’état. Autrefois on se croyait bien hardi de soutenir que l’enfant n’appartient pas à la famille, mais qu’il appartient à l’état. Cette vérité frappait inutilement des yeux aveugles sur tout le reste. On ne pouvait la formuler qu’elle ne soulevât partout d’ineptes clameurs. Elle a triomphé ; les enfans aujourd’hui appartiennent sans conteste à l’état, il les coule dans son moule, il les élève, il en dispose. Bientôt il leur distribuera les vocations et leur assignera les aptitudes. Montrez aujourd’hui que l’individu n’est pas plus que l’enfant dans cette main sage et puissante qui ordonne de tout au service de tous. Votre droit n’est pas douteux. Créateurs d’un ordre social nouveau, vous avez les droits de l’inventeur sur la matière première qu’il transforme, qu’il pétrit pour en faire un chef-d’œuvre. Que sont d’ailleurs les individus sur qui vous ferez la première expérience ? Des criminels. Les femmes qu’il s’agit d’exporter invoqueraient en vain le prétendu droit de rester dans la grande famille nationale ; elles l’ont trahie, elles en sont du moins soupçonnées. Rejetez-les, et que, coupables ici contre la civilisation, elles en deviennent ailleurs les apôtres. Chez nous, elles étaient les agens du despotisme ; dans les pays moins avancés où elles iront vivre, elles seront les missionnaires de la liberté. Ne craignez pas de leur faire franchir même les murs du sérail ; ces murs tomberont aussitôt qu’elles y seront renfermées. (Murmures d’approbation.)