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cachots, dans les bagnes, des multitudes de malheureux enfans du peuple que l’on a qualifiés long-temps, que l’on qualifie encore de criminels, et qui sont simplement, aux yeux de la philanthropie et de la raison, les victimes du milieu déplorable et subversif où ils ont vécu. J’ai vu de près, comme avocat, beaucoup de ces infortunés. J’atteste que j’ai trouvé en eux plus de sentimens généreux, plus d’aspirations énergiques et fortes vers la justice et la liberté qu’il ne s’en rencontrait souvent chez leurs accusateurs et chez leurs juges. Proscrits par une société qui leur reprochait d’avoir voulu participer à ses jouissances, ils se sont cabrés et révoltés. Ce sont des âmes indignées, ce ne sont point des âmes corrompues…

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, à part.

Au contraire !

LE MINISTRE DE LA JUSTICE.

Ce ne sont point surtout des cœurs ingrats ni de faibles intelligences. Qu’ont-ils fait pour la plupart ? Ils ont bravé des préjugés que vous voulez, que vous devez abolir ; ils ont obéi à des instincts que vous reconnaissez respectables et sacrés ; ils ont été condamnés par des juges que vous avez déclarés indignes de rendre la justice. Nulle part la république sociale n’a été mieux comprise, saluée avec plus d’espérance et d’amour. Ah ! s’écriait dernièrement un de ces proscrits, répétant une parole célèbre, je ne sais pas si la révolution a été faite pour moi, mais je sens que je suis fait pour elle ! N’êtes-vous pas touchés, citoyens, de cette confiance et de cet amour d’un pauvre banni ? Il n’espérait plus. Son cachot était muré, il y demeurait voué aux fers et à l’infamie ; mais la république sociale apparaît et n’a qu’un mot à dire pour qu’il sorte du tombeau. Ce mot, prononcez-le, citoyens, non-seulement pour lui, mais pour ses frères. Vous ne ferez d’ailleurs que vous conformer à la pratique constante des révolutions. Toutes ont senti qu’elles avaient des amis dans ces lieux de douleur, où les abus renversés savouraient de lâches vengeances, long-temps après leur chute ; toutes ont fait quelque chose pour ces prétendus criminels, en qui souvent, je l’ose dire, elles devaient saluer des précurseurs. Citoyens, grâce ou plutôt justice pour les Galilées de la république sociale ! Que la révolution sociale, la plus complète, la plus radicale et la dernière de toutes, fasse pour les victimes de la vieille justice et de la vieille morale plus que toutes les autres n’ont fait ; qu’elle donne ce soufflet aux préjugés ; qu’elle affiche dans le monde et dans l’histoire ce témoignage de sa puissance ; qu’elle ne craigne pas de ressusciter les morts. Rompez les portes des cachots ; rappelez en masse à la vie, à la liberté, à l’honneur ceux qu’une justice aveugle et barbare a osé croire indignes de la vie, de la liberté et de l’honneur. Vous consolerez cinquante mille familles éplorées, vous donnerez à la patrie cinquante mille citoyens, à la république sociale cinquante mille soldats. Ne craignez point quelques retours au mal, ils seront rares comme le mal lui-même va le devenir, ou plutôt je suis convaincu qu’il n’y en aura pas. Ces pauvres cœurs s’élèveront à la hauteur du bienfait. Relevés par vous, réintégrés dans tous les droits, dans toute la dignité du citoyen, admissibles à tous les emplois, comment voulez-vous qu’ils ne deviennent pas vertueux ?

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

Ils ont d’ailleurs si peu de chose à faire.