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REVUE DES DEUX MONDES.

L’HOMME EN BLOUSE.

Prends ; … mais tu m’arraches le cœur. (Il lui donne un peu de pain.)

L’HOMME DÉGUENILLÉ.

Mon pauvre ami, j’en suis bien fâché. Je te dirais, si cela pouvait te consoler, que tu sauves la vie à un homme de lettres célèbre, à un ancien ministre, à un membre marquant de plusieurs de nos anciennes assemblées.

L’HOMME EN BLOUSE.

Cela ne me console aucunement.

L’HOMME DÉGUENILLÉ.

Je ne t’en veux point.

L’HOMME EN BLOUSE.

Et moi je t’apprends, s’il est nécessaire de te montrer ce que tu as fait avec tant d’autres, que tu manges la dernière bouchée de pain d’un millionnaire.

L’HOMME DÉGUENILLÉ.

Tu ne m’apprends rien. Pour se procurer deux pains toutes les semaines, il faut avoir un reste de coffre assez bien garni ; mais le temps approche où tu pourras refaire ta fortune. Quant à moi, mon industrie est pour long-temps supprimée. Si tu avais par la suite besoin d’un précepteur…

L’HOMME EN BLOUSE.

Je ne te choisirais pas.

L’HOMME DÉGUENILLÉ.

Je sais tenir une classe, et je suis d’une assez jolie force sur la guitare. L’enseignement serait ma vocation. Cependant je me contenterais d’être valet de chambre ou portier. Je vaux mieux que ma mine et mes anciennes professions. Je suis devenu honnête homme, je voudrais faire une bonne fin.

L’HOMME EN BLOUSE.

Espères-tu vraiment que nous sortions bientôt de l’affreux état où nous sommes ?

L’HOMME DÉGUENILLÉ.

Nous avions annoncé aux Cosaques que nous irions délivrer nos frères les Russes. Les Cosaques nous ont répondu qu’ils viendraient délivrer leurs frères les honnêtes gens. Je ne crois pas que nous délivrions les Russes.

L’HOMME EN BLOUSE.

Sais-tu quelque chose ?

L’HOMME DÉGUENILLÉ.

Je sais qu’il est défendu de donner les mauvaises nouvelles.

L’HOMME EN BLOUSE.

Mais les bonnes ?

L’HOMME DÉGUENILLÉ.

Oh ! pour les bonnes, c’est différent. Nous avions un dernier général qui semblait capable. À la suite d’un combat dont ses soldats ont paru trop fiers, il a été arrêté par l’ordre du dictateur et fusillé cette nuit.

L’HOMME EN BLOUSE.

L’assaut ne peut tarder ?