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LE ROMAN ANGLAIS CONTEMPORAIN.

mot saignant de douleur. Lorsque M. Feversham connaît le déshonneur de sa fille, il court à Londres ; mais le désespoir du vieillard et du père trouve la froide ambition de Ridley inexorable. Ridley fait un grand mariage aristocratique. M. Feversham meurt dans le délire en maudissant sa fille. Miriam, par une nuit d’agonie, va dans la campagne jeter son enfant au seuil d’une maison opulente, et meurt de la mort du broken heart, le suicide. Toute cette histoire, dans Mordaunt-Hall, est déchirante. Le suicide de Miriam, le suicide d’amour, est le seul peut-être qui trouvera grace, car il semble que ce soit une mort naturelle. Le suicide philosophique de Caton me fait plus horreur que le suicide voluptueux de Pétrone celui-ci a de moins l’hypocrisie de l’orgueil ; mais je ne puis lire sans attendrissement, dans les faits divers d’un journal, le récit d’un suicide d’amour : une pauvre grisette, un pauvre ouvrier, quelquefois mourant ensemble tous deux. Si le corps était l’esclave de l’ame, on mourrait sur le coup du broken heart. Si l’on conservait dans le monde la force native des passions, si le raffinement de l’esprit, les subtilités de la raison, mille habitudes artificielles, n’y amortissaient l’élan naturel du sentiment, — ou si l’on ne trouvait dans l’amour religieux la guérison d’un cœur blessé, — on se tuerait lorsqu’on perd ce qu’on aime. Dans ses extases et dans ses agonies, l’amour aime la mort.

Ceci n’est encore que l’exposition de Mordaunt-Hall. Nous entrons dans la situation que l’auteur s’est proposé principalement de traiter, et qu’il développe avec une sagacité d’observation et une sensibilité exquises. La maison sous le portique de laquelle Miriam laissa son enfant était la résidence de la famille Mordaunt. C’était une noble, prospère, nombreuse et patriarcale famille, comme on en voit tant en Angleterre. M. et Mme Mordaunt avaient marié leurs filles, sauf une seule, Calantha, ame tendre et religieuse, clouée pour la vie à une chaise longue par la faiblesse maladive de ses membres. Calantha supplia sa mère d’accueillir ce pauvre orphelin que la Providence semblait leur avoir confié. Elle qui devait renoncer à jamais aux joies de la maternité, elle voulut faire son enfant de l’enfant abandonné. Ses parens n’osèrent pas contrarier ce désir et ce projet, qui allait donner un intérêt à la vie de la pauvre infirme. M. Mordaunt avait prévu cependant les difficultés qu’amènerait infailliblement dans sa maison la fausse position de l’enfant trouvé. L’angélique sollicitude de Calantha ne put les prévenir. À mesure que Gédéon grandissait, elles augmentèrent. Les sœurs de Calantha la blâmaient de sa bizarre charité ; elles mortifiaient le malheureux enfant ; elles l’excluaient avec mépris des jeux de leurs garçons et de leurs filles. L’auteur raconte dans de nombreuses scènes ces coups d’épingle quotidiens qui de l’enfant rejaillissent sur la mère adoptive, et fait sentir l’influence douloureuse de ces