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On a vu ainsi se reproduire sur le terrain de l’exil quelque chose des discordes qui ont si souvent désolé la Pologne. Les Polonais s’étaient créé chez nous une image de la patrie assez semblable même en ce point à celle qu’ils avaient laissée sur la Vistule.

…Parvana Trojam simulataque magnis
Pergama…

Cette propagande, sur laquelle les esprits se trouvaient de bonne heure partagés, visait d’ailleurs à un double objet ; elle avait en vue d’une part le royaume de Pologne, de l’autre l’Europe : la Pologne pour y entretenir le feu du patriotisme, l’Europe pour y chercher des alliés, la sympathie des cabinets constitutionnels et des peuples libéraux. Le véhicule de la pensée sur ce double terrain, c’étaient l’écriture et la parole, la littérature et la diplomatie. En général, la littérature inclinait fort du côté du parti qui s’était affublé du nom de démocratique, et qui ne pensait pas que la Pologne pût se relever sous une forme autre que la forme républicaine. Les diplomates appartenaient au parti conservateur. Les conservateurs suivaient pas à pas le progrès du gouvernement constitutionnel en France, inclinant vers ce que l’on appelait alors une démocratie monarchique, sans repousser le gouvernement républicain lui-même, s’il devenait le meilleur instrument de la restauration de la Pologne.

La question des paysans était le principal prétexte du désaccord entre le parti démocratique et le parti conservateur. Le dissentiment ne portait pas sur la nécessité de l’émancipation, des propriétés et des personnes là où il restait encore des traces de servage et de féodalité. Dans l’opinion des conservateurs, qui étaient en général de la catégorie des grands seigneurs terriens, le premier acte de l’insurrection devait être l’affranchissement des paysans. Que pouvaient exiger de plus les petits gentilshommes, qui formaient le parti des démocrates ? Ils n’en tenaient pas moins à faire à la haute noblesse un crime du passé. Ils eussent voulu, en ruinant sa popularité, écarter son influence du théâtre de l’action dans la propagande du présent et dans la guerre à venir. Les conservateurs, sans être moins libéraux, se montraient surtout préoccupés d’unité nationale ; en promettant aux classes laborieuses la liberté et la propriété, ils songeaient à les retenir groupées autour d’eux par les liens de la fraternité. Qu’il entrât dans leurs vues des considérations d’influence, cela n’est pas douteux, et, pour quiconque connaît la condition sociale des populations polonaises, quoi de plus naturel et de plus sensé que cette ambition ? Dans un pays qui sort du régime féodal sans que la bourgeoisie soit arrivée à son développement, rien n’est possible sans l’initiative, sans la direction de la noblesse. Ce n’est point là le privilège de la propriété, c’est le droit de