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originalité un peu étrange et sombre. À sa suite, vous vous sentiez entraîné comme dans les cercles gémissans de la cité des pleurs.

Per mè si va nella città dolente.


À la différence, toutefois, de la cité que visitait Dante sur les pas de Virgile, la Pologne de l’avenir nous apparaît toujours dans les leçons du professeur et du poète, éclairée des vives lumières d’une immuable espérance. Le malheur purifie ceux qu’il ne tue pas ; il purifiera la Pologne. Le malheur, c’est la rédemption ; la Pologne se rachètera, et avec elle toutes les nations souffrantes. Telle est la pensée qui anime le slavisme de M. Mickiewicz.

À la Pologne appartenait naturellement, nécessairement, la première place dans les leçons du professeur. Il avait deviné plutôt qu’étudié les Slaves de Hongrie et cette famille si énergique des Illyriens, dont quelques-uns, les Croates, jouent un rôle décisif dans les affaires de l’Autriche, tandis que d’autres, les Serbes, sont, de l’aveu des Turcs, le plus ferme rempart de l’empire ottoman sur le Danube. M. Mickiewicz ne faisait point aux Slaves du Danube, dans le mouvement libérateur qu’il appelait avec enthousiasme, une part entièrement conforme à leurs voeux, à leurs désirs. Néanmoins, en Croatie, en Serbie comme en Bohême, l’esprit du cours fut chaudement approuvé. En effet, à part les erreurs d’érudition, jamais l’on n’avait formulé avec plus d’éclat les principes générateurs et les tendances de la civilisation slave.

La Pologne avait, aux yeux des slavistes, un grand tort à réparer. Associée directement par son histoire aux peuples occidentaux, elle avait, principalement au XVIIIe siècle, beaucoup perdu du primitif génie slave. Sa littérature, ses mœurs, sa législation, s’étaient, dans une certaine mesure, germanisées ou latinisées. La Pologne, en un mot, s’était écartée des traditions slaves : grande faute au dire de tous les slavistes de Bohême et d’Illyrie ! Or M. Mickiewicz était, comme poète, précisément remonté à ces traditions primitives. Son système analogue à celui de l’école de Goethe en Allemagne, avait été de réagir contre les influences étrangères, et de puiser toutes ses inspirations dans l’esprit et les mœurs de sa race. Professeur de littérature slave, c’était le génie particulier des peuples slaves qu’il recherchait sous les diverses couches de la civilisation polonaise. Si l’on compare les sentimens de Mickiewicz à la philosophie du poète Kollar, on n’hésitera pas à reconnaître dans le poète polonais un spiritualisme plus élevé. Kollar, en effet, comme M. Mickiewicz l’a remarqué lui-même, KoIlar tout en proposant au slavisme un grand but religieux, est matérialiste dans le choix des moyens auxquels il demande en dernier lieu le triomphe des Slaves. Kollar ne fonde point son espoir sur la puissance des idées ; il invoque l’intervention du fer, l’appui armé du czarisme.