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les plus vives à son départ. M. Towianski avait quitté volontairement la Russie ; il n’était point émigré. Il n’avait pris aucune part à la guerre de 1830, quoiqu’il fût d’âge à combattre. Possédant le privilège de seconde vue, n’ayant point de goût pour le recours à la force, il n’avait pas, disait-il, approuvé une tentative qui devait entraîner tant de malheurs. M. Towianski était arrivé en France au moment où l’éloquence de M. Mickiewicz était dans son éclat, et son christianisme dans toute son exaltation poétique. Au débotté, le messie se présente chez le poète et lui dit : Frère, je suis le libérateur envoyé de Dieu pour annoncer la parole de vie à l’émigration ; j’ai la mission de vous en faire part pour que l’émigration le sache par votre bouche. — Le poète ne reçut pas la foi nouvelle de première inspiration ; il ne se sentit point écrasé par la splendeur du vrai, ainsi que Paul sur le chemin de Damas. Comme le premier venu des pharisiens, il eut l’impiété de demander au messie ses lettres de créance, des témoignages de sa mission, en un mot des miracles : Magister, volumus a te signum videre. Qu’à cela ne tienne ! reprit le maître, et le miracle fut accompli. Si l’on en croit les incrédules, M. Towianski n’avait besoin que de bon sens pour accomplir la cure merveilleuse et immédiate qui lui donna M. Mickiewicz pour premier disciple.

Cependant M. Towianski ne cessait de dire : Je n’ai rien étudié, je ne suis point un savant, je ne sais rien, si ce n’est que je suis inspiré par un souffle divin pour faire connaître à l’émigration polonaise que ses malheurs sont finis et que des temps nouveaux vont apparaître. — Soyons équitable : M. Towianski n’avait rien du matérialisme grossier que les prophètes de notre pays prêchaient dans leurs écrits depuis 1830 ; il prenait son point de départ dans le spiritualisme le plus parfait, dans le catholicisme lui-même ; il prêchait le sacrifice, l’expiation, le détachement des choses ici-bas, l’affranchissement de l’ame et l’élévation à Dieu ; il avait la chaleur de la foi, c’est-à-dire la plénitude et l’autorité de la parole. Pourtant un fait remarquable n’avait point échappé à quelques-uns d’entre ceux qui l’écoutaient. M. Towianski apportait bien à la Pologne la promesse de sa résurrection, mais par quels moyens ? Par la perfection intérieure, par le renouvellement des consciences, par le rayonnement naturel du beau et du vrai. C’était beaucoup de spiritualisme quand on était un peuple vaincu et que l’on avait à reconquérir son indépendance. Les diplomates et les généraux de l’émigration goûtaient mal cette théorie du rayonnement de la vérité ; celui des boulets leur paraissait plus national et plus sûr. – Mais, répondait M. Towianski, qu’est-ce que le bien et le mal ? qu’est-ce que la victoire et la défaite ? Lorsque l’ame est impure, elle est, par raison de son impureté, plongée dans les ténèbres de l’erreur ; des légions d’anges noirs s’amoncellent à ses côtés, l’égarent, l’obsèdent, la