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religieuse. La chronique révolutionnaire de 1848 a fourni de nombreux sujets à ces tableaux que l’enluminure propage derrière les vitres des boutiques ; mais rien de noble, rien de poétiquement senti. À chaque pas, on rencontre des barricades, avec les portraits de ceux qui les font et de ceux qui les enlèvent. La mort de l’archevêque de Paris a plusieurs éditions ; les gardes nationaux, les gardes mobiles, les transportés foisonnent. On s’ameute devant ce curé patriote montant la garde en houppelande, la cocarde en tête, le bréviaire à la main. C’est un succès à rendre M. Biardjaloux. Devant la fête de la fraternité, la distribution des drapeaux et toutes les autres journées dont le souvenir est consacré sur la toile, chaque honnête bourgeois s’arrête, reconnaît l’emplacement de sa légion, et dit à sa famille qui se presse : « J’étais là, telle chose m’advint. » Une mesquine vulgarité est la condition de cette vogue. À soixante ans en arrière, M. Brémond est allé choisir une scène analogue, la Mort de Bailly. Le maire de Paris est traîné au supplice par une tourbe forcenée, au milieu de laquelle il élève une tête sereine. Beaucoup de gestes et peu de mouvement ; tout est compassé dans ce tumulte de rue. Aux drames il faut joindre les allégories. M. Herbstoffer nous bâtit la plus monstrueuse de toutes les républiques, sauvage, crépue, fumeuse, montée sur un tas de pavés, et écrasant de son pied d’hippopotame un malheureux réactionnaire de paon. Prudhon, quand il fait un république n’a pas besoin de lui donner sept pieds de haut pour qu’on reconnaisse en elle le symbole de la force et de la puissance. M. Gosse au moins n’est pas rébarbatif ; son allégorie de l’Esclavage affranchi se présente sous l’image bigarrée de deux petites femmes, l’une noire, l’autre rose, qui se sourient et se donnent une poignée de mains sous l’aile de la république. Fond de ciel lumineux et serein, profusion de fleurs et de fruits, tout annonce les félicités qui doivent suivre l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme ! Mais il est un morceau plus précieux encore en fait d’allégories : assis dans une caverne à côté d’un lion d’aspect maladif, et qui doit être de la famille de ceux que peint M. Chassériau, un homme nu tire du fond d’un vase un fragment de bandelette blanche. L’histoire d’Androclès nous vient aussitôt à l’esprit ; erreur profonde : c’est le Suffrage universel Qui s’en serait douté ? Ce piquant logogriphe est dû à M. Nègre. Si M. Nègre eût voulu représenter un Androclès, sa peinture eût été supportable ; l’intention politique qu’il donne à son tableau en fait une bouffonnerie insigne.

C’est encore la mythologie qui se prête le mieux à l’allégorie. Ses poétiques personnifications sont plus propres à donner de la vie à un genre naturellement froid que toutes les synthèses philosophiques qu’on pourrait imaginer. De plus on comprend tout d’abord, et c’est un point important. Devant cette toile extravagante, où M. Jollivet a