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suspendue au bois, et le Christ à la croix. De l’une coule le vin, et de l’autre le salut des hommes. Deux hommes portent cette grappe, un gentil et un Juif : le Juif le premier, le gentil le second ; l’un aveugle, l’autre clairvoyant. Le Juif, qui marche le premier, le dos courbé, est aveugle : il ne voit point le Christ, et refuse d’y croire ; mais les gentils, qui marchent les seconds, ont l’œil de la foi tourné sur le Christ[1]. »

À Dieu ne plaise que les allégories de Gerson aient ce caractère de bizarrerie et de subtilité ! Dans Gerson, l’allégorie a toujours un but moral ; on sent l’auteur de l’Imitation. Ainsi, quand il représente le Christ dans la crèche et les bergers qui viennent déposer à ses pieds leurs modestes présens : « Ne vous y trompez pas, dit-il, chaque jour le Christ peut naître dans notre ame, si elle est vierge et pure. Peu importe que vous soyez pauvre et petit, il ne faut à la pensée divine ni luxe ni éclat ; la paille de la crèche et les présens des bergers suffisaient à Jésus-Christ, et, lorsqu’il renaît dans notre ame, il n’a besoin aussi autour de lui que de simplicité et d’amour[2]. »

Parfois l’allégorie de Gerson a à la fois un sens moral et un sens métaphysique ; il tire du sujet une leçon de vertu et une leçon de psychologie. Quand il raconte la circoncision de Jésus-Christ, « il faut ainsi, dit-il, circoncire chaque jour notre cœur, c’est-à-dire, retrancher les mauvaises passions et toutes les souillures du monde, car le cœur de l’homme est bon et, pour le ramener à sa bonté primitive, il ne faut, pour ainsi dire, que le réduire à lui-même en coupant tout ce qui vient du dehors. » Et là-dessus vient ce que j’appelle une leçon de psychologie, l’exemple du statuaire qui, lorsqu’il fait une statue avec un bloc de bois, n’ajoute rien à la matière, mais s’occupe seulement de retrancher les parties inutiles, jusqu’à ce qu’enfin sorte du bois l’image qu’il avait conçue. Il en est de même pour l’idée de la vertu ; elle réside au fond de notre cœur ; il s’agit seulement de la faire paraître,

  1. In Ligno botrus pendens est, un cruce Christus ;
    Profluit hiuc vinum, profluit inde salus.
    Sunt duo vectores botri, Gentilis, Hebraeus,
    Hic prior, ille sequens ; coecus hic, ille videns ;
    Qui prior et dorsum curvans caecatur Hebraeus,
    Ne videat Christum, credere durus ei ;
    Sed plebs quæ sequitur Gentilis lumine recto,
    Haeret un hunc Christum mente fideque videns.


    Je remarque qu’il y a d’anciens tableaux où le corps de Jésus-Christ est mis sous le pressoir, et les patriarches et les évêques viennent puiser son sang à pleins seaux. Il y a je crois, des vitraux de ce genre-là à Saint-Etienne-du-Mont.

  2. Nascatur nostro puer hic in corde, fidesque
    Sit semen… sufficit illud
    Panninculis tegere, si defuit aurea vestis.


    Il y a un traité de Gerson intitulé : Quomodo puer Jesus in mente devota concipitur, nascitur, balneatur, nutritur, etc., t. III, p. 685.