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WATERLOO TRENTE-QUATRE ANS APRÈS LA BATAILLE.

au rez-de-chaussée, composé de deux pièces. Par une conduite dont la diplomatie n’échappa ni la voyageuse anglaise ni à la voyageuse anglaise ni à moi, l’hôte du Mont Saint-Jean a orné les murs de son salon de portraits où toutes les opinions trouvent leur compte. Si le Français s’indigne un moment à l’aspect d’un tableau qui représente lord Wellington à cheval, tenant à la main un verre de vin de Champagne qu’il se dispose à vider en l’honneur de sa victoire, il s’apaise aussitôt à la vue d’une gravure où Napoléon est représenté vainqueur à Ulm. Si, en voyant cette image, l’Allemand sent la rage lui monter au cœur, un profil de Blücher et un portrait au pastel du prince d’Orange, placés tout près de là, lui rendent le calme, et Napoléon, à son tour, est respecté derrière la vitre de son cadre. Enfin, si le thé que vous allez boire vous est servi dans une théière décorée d’aigles d’or volant sur un champ d’azur, le fond du plateau qui porte cette théière provocatrice montre, dans toute sa grace britannique, le portrait de la reine Victoria.

Un des supplices de l’esprit, lorsqu’on lit des récits de batailles, c’est de ne pouvoir se former une idée exacte de l’action et du théâtre où elle s’est déroulée. Les historiens modernes, pourvu qu’ils se comprennent, regardent leur tâche comme accomplie. Ils ignorent qu’il n’est pas une seule de leurs peintures de batailles que le lecteur ne laisse de côté. Les préfaces causent moins d’horreur. Je ne sais pas si moi-même, élevé au martyre de l’ennui par ma profession littéraire, je n’aimerais pas mieux m’être trouvé au plus fort du carnage de Waterloo que de recommencer les récits que j’ai lus de cette bataille, une des plus faciles cependant à retracer, tant était simple la disposition des combattans. Heureusement je n’ai pas à produire ici un exemple de cette clarté et de cet ordre que je refuse aux autres. L’affaire du Mont-Saint-Jean, — et mon insuffisance s’en félicite, — n’est plus à raconter ; il n’y a pas lieu surtout à la raconter ici. Je me bornerai à dire que l’hôtel du Mont-Saint-Jean, d’une construction bien antérieure à 1815, occupe un terrain que les boulets et la mitraille sillonnèrent à toutes les hauteurs et sans relâche pendant toute la durée de l’engagement. Le hasard le plaça entre l’armée française et l’armée, ennemie, qui en firent un pont de feu par où ne passa qu’un seul voyageur du lever au coucher du soleil, la Mort !

Voici l’image et les expressions d’un vieil habitant du pays, introduit depuis quelques minutes dans notre salle et assis près de notre table. Je l’avais questionné sur la terrible journée du 18 juin qu’il n’avait que trop vue ; un éclat de mitraille l’avait éborgné à la lucarne d’une grange où il était monté pour contempler la mêlée. — Monsieur, il avait tant de ferraille dans l’air, savez-vous ? qu’une mouche aurait été infailliblement écrasée entre deux boulets, si elle eût osé traverser le Village, sais-tu ? (Savez-vous, sais-tu sont deux locutions parasites dont