Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 3.djvu/673

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
667
WATERLOO TRENTE-QUATRE ANS APRÈS LA BATAILLE.

bataille de Waterloo, vous avez dû entendre parler des massacres qui se sont commis ici, dans cette ferme ?

— Oui, monsieur, j’en ai ouï parler par mon père, que vous voyez là-bas aiguisant sa faux.

— Vous ne pourriez pas me dire la position qu’occupaient les Anglais dans la ferme ?

— Non, monsieur ; mais mon père…

— Je vous remercie, madame.

La fermière me rappela. — Monsieur ! monsieur ! mon père est très sourd, il pourrait ne pas vous entendre…

— Monsieur ! criai-je de manière a prouver que je profitais de l’avertissement… monsieur ! que savez-vous du combat si meurtrier qui s’est livré ici ?

— Ici

— Oui, ici.

— Dans quel temps ?

— En 1815.

— En 1815 ?… Non, ce n’est pas en 1815.

— Comment, non ?…

— Je vous dis qu’en 1815 je n’étais jas ici, j’étais dans la Frise.

— Mais vous ne savez rien ?…

— Sur la Frise ?

— Non, sur la Haye-Sainte, où nous sommes, où je vous parle en ce moment. Voyons, rappelez vos souvenirs.

Le vieux paysan, me regardant d’un œil clair et d’un air hébété, me dit : — Auriez-vous appris quelque chose de nouveau là-dessus ? — Je saluai cet honnête vieillard, lui souhaitant, à la manière de Fénelon, la continuation de cette existence calme qui lui laissait ignorer jusqu’aux cruautés exercées par la guerre à la place où il fumait paisiblement sa pipe et aiguisait sa faux. Il ne restait plus pour m’instruire que l’enfant et le chien. Je n’osai pas les interroger : ils auraient pu me répondre un peu mieux que ces êtres intelligens. Voilà où en sont déjà les souvenirs de Waterloo en 1849 :

Je dois pourtant ajouter ceci : mon guide m’affirma que les gens interrogés par moi n’étaient pas les maîtres de la Haye-Sainte. C’était, me dit-il, une famille de faneurs, comme on en voit beaucoup en Belgique, se louant à la quinzaine pour le temps de la fauchaison, et retournant ensuite dans leur pays.

Le château d’Hougoumont, où j’allai directement en sortant de la Haye-Sainte, allonge de loin dans les airs ses ruines désolées. Il est resté à peu près tel qu’il était après l’incendie. Il n’a jamais dû être fort remarquable, malgré le titre ambitieux de château dont il se dé-