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avez cru pouvoir évoquer et faire revivre ce que vous aviez perdu, et vos regrets vous ont trompés. Vous avez voulu marcher en avant, et vous n’avez rencontré que le vide et ses chimères. Ensuite, revenus, prétendiez-vous, à des idées plus sages, vous avez voulu vivre au jour le jour, vivre pour votre temps, dans votre temps, sans regrets, sans chimériques espérances, vivre avec des projets à courte échéance, avec des intentions immédiatement réalisables, vivre partout et toujours dans le présent, et cela vous a trompés encore. Vous avez voulu remplacer la vie morale, si affaiblie dans notre temps, par l’activité des affaires, par le mouvement de l’industrie, par le luxe, et cela vous a échappé encore. Et maintenant vous en êtes arrivés à ce terrible résultat que les trois divisions du temps vous échappent également : vous ne pouvez plus retourner en arrière, vous ne pouvez pas marcher en avant, car aucune espérance ne vous conduit vers l’avenir ; en jetant les yeux sur lui, vous n’apercevez que périls, et cependant vous ne pouvez plus vivre dans le présent, car la situation qui vous y est faite est intolérable. C’est là certainement un supplice auquel Dante n’a pas songé.

D’où viennent donc ces désastres et ces malheurs ? quelle en est l’origine et la cause première ? Nous avons déjà indiqué d’une manière générale la cause et l’origine de ces maux ; mais, si nous voulons connaître la profondeur du mal et le suivre dans toute son étendue, nous n’avons qu’à chercher et à suivre dans leurs conséquences et leurs rayonnemens les tendances de la société moderne. On va répétant partout que la société ne croit à rien ; mieux vaudrait en effet, pour son salut, qu’elle fût entièrement athée que d’avoir les croyances qui la rongent. La société ne croit plus entièrement qu’à l’humanité. Ce que nous appellerons le principe humain (confiance en la nature de l’homme, philanthropie, démocratie, recherche du bonheur, science de l’utile, réclamations du bien-être, volupté, curiosité) est prédominant dans notre temps, et y étouffe entièrement ce que nous appellerons le principe divin (amour de l’idéal, recherche du beau, esprit religieux, morale du devoir, science de l’infini). Depuis plus d’un siècle, ce principe humain est allé s’étendant toujours de plus en plus. Il a revêtu des aspects et des masques divers, il s’est nommé tantôt déisme, tantôt liberté, tantôt démocratie, tantôt industrie, tantôt socialisme. Sous cette dernière forme, il a fait frissonner la France ; mais la société, malgré ses craintes, n’en a pas moins les mêmes tendances funestes. Osons dire toute la vérité ; et suivons ces tendances, ce principe humain sous toutes ses manifestations. Nous voudrions pouvoir faire sentir tout ce qu’il y a d’erreurs et de désastres dans cet amour excessif de l’humanité pour elle-même, et encore le mot amour est-il impropre ; non, l’idée et le sentiment qui dominent au XIXe siècle ne