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SACS ET PARCHEMINS.

gnait en songeant à cet amas de vieux murs éboulés que Gaspard appelait pompeusement le château de ses ancêtres ; mais elle se savait assez riche pour les relever. Enfin, Laure était forcée de reconnaître qu’elle n’avait pas l’embarras du choix. Les semaines s’écoulaient, et les grandes familles absentes ne se hâtaient pas de rentrer dans leurs terres. Vainement M. Levrault se montrait sur la route de Nantes en calèche attelée de quatre chevaux, conduite par deux jockeys coiffés d’une casquette de velours orange ; vainement il envoyait ses piqueurs promener dans les alentours ses chevaux et ses chiens, avec ordre de dire, comme le chat botté, aux passans : Voici les chevaux et les chiens de M. Levrault ; vainement il étalait sa fortune par tous les chemins et dans tous les carrefours, rien n’y faisait ; la foule des visiteurs était toujours la même à la Trélade. Laure finit par se rendre à l’avis de M. Levrault. Il ne s’agissait plus que d’attendre la déclaration du vicomte. Aux soupirs que poussait Gaspard, il était permis d’espérer qu’on ne l’attendrait pas long-temps.

Ainsi, tous nos personnages nageaient dans la joie, et je ne sache pas que dans aucune histoire on ait vu jamais tant de gens heureux. Quelques jours encore, et M. Levrault mettait le pied sur la terre promise. Laure se voyait à la cour. Mons Gaspard n’avait plus qu’à étendre ses doigts crochus pour agripper le petit million dont il paraissait avoir quelque besoin. Maître Jolibois croyait déjà tenir ses quatre-vingt mille livres, et le comte de Kerlandec ses quelques milliers d’écus. Le chevalier de Barbanpré pensait avec délices au festin de noces. Enfin, Galaor se berçait du doux espoir que le vicomte, une fois marié, penserait peut-être à lui payer ses gages. Les choses en étaient là, lorsqu’un incident imprévu vint brusquement en changer le cours.

Un matin, après déjeuner, Laure était sortie à cheval, suivie d’un serviteur. C’était la première fois qu’elle allait ainsi à travers champs, sans être escortée de son père et de Montflanquin. Gaspard s’était offert à l’accompagner ; mais M. Levrault, décidé, pour en finir, à le forcer dans ses retranchemens, avait retenu le vicomte, qui ne s’était résigné qu’à regret, après avoir reçu l’assurance que Laure dirigerait sa promenade du côté de Clisson, car, à l’en croire, le côté de Tiffauge était mal habité, et il craignait pour elle de fâcheuses rencontres. Docile aux avis de Gaspard, Laure avait d’abord côtoyé la rivière ; puis, ennuyée bientôt des chemins trop connus, elle s’était jetée dans un sentier couvert qui coupait le vallon, courait sur les flancs du coteau et se perdait dans un bois de chênes. Percé d’allées étroites, courtes, enchevêtrées, ce bois était un vrai labyrinthe. Laure le traversa au galop, et s’aperçut, sur la lisière, qu’elle n’était plus suivie de Germain qui, sans doute, avait perdu ses traces. Bien que Mlle Levrault ne fût pas une organisation très poétique, elle éprouva moins d’inquiétude que de joie en se trouvant seule au milieu des campagnes. Sans se préoccuper