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et les graces de l’idéal. Il a, dans l’inspiration et dans l’entrain de la pensée, cette foi en son œuvre, ce feu, cet enthousiasme, si absent aujourd’hui parmi nous, qui avivent dans l’écrivain une éternelle jeunesse. C’est un esprit opulent ; est un homme qui a vécu avec les hommes ; c’est un historien qui a mis la main aux choses ; c’est un artiste qui possède les formes les plus diverses et les plus chaudes de l’expression. Un jugement agile, perçant, lumineux, qui débrouille avec une adresse et une clarté incroyables les plus épineuses et les plus subtiles controverses ; un don d’observation, un instinct pittoresque qui fait vivre les hommes auxquels touche sa plume, et qui dramatise les situations où ils agissent ; un style coulant et savant, étoffé, coloré, ardent, pompeux, qui paraîtrait trop abondant, s’il n’était si limpide et si rapide, et si lestement mouvementé dans ses allures : telles sont les aptitudes avec lesquelles M. Macaulay aborde l’histoire retentissante de l’Angleterre depuis la révolution de 1688[1].

C’est l’histoire même de cette révolution, le récit du règne de Jacques II, que M. Macaulay a donné, il y a quelques mois, au public. Cinq édifions déjà épuisées et les États-Unis inondés de contrefaçons à bas prix annoncent assez combien un pareil ouvrage manquait à la littérature politique de l’Angleterre, et la supériorité avec laquelle M. Macaulay l’a traité. Pour le continent, ce livre a, de plus, un singulier intérêt d’opportunité. La révolution de 1688 est l’événement par lequel l’Angleterre a exercé la plus profonde et la plus durable influence sur la civilisation européenne. J’ai lu et j’ai entendu dire bien des fois que l’esprit anglais est fermé comme l’île où il se concentre, et, dans son égoïsme insulaire, n’a jamais rien communiqué à la civilisation universelle. Ce lieu commun avec lequel d’imbéciles rhéteurs bercent encore nos puériles jalousies et nos lâches vanités était vrai peut-être au temps où Shakspeare lui-même faisait dire à la gracieuse Imogène : « Notre Bretagne est un fragment détaché du volume du monde ; elle en est, mais n’y est pas. »

I’ the world’s volume
Our Britain seems as of it, but not in it.

Mais aujourd’hui n’y aurait-il pas de la niaiserie à récuser l’initiative et l’influence du génie anglais ? Depuis un siècle et demi, la constitution politique de l’Angleterre rayonne comme un type et un foyer de liberté sur lequel se sont fixées les aspirations des philosophes, qui sont plus tard devenues les passions des peuples. Depuis soixante ans, nos révolutions copient les révolutions anglaises. Ce mot même de révolution

  1. J’ai eu déjà l’occasion d’apprécier M. Macaulay dans la Revue des Deux Mondes du 15 novembre 1843.