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depuis que le peuple anglais a renversé un gouvernement par la force. Durant les cent soixante années qui précédèrent l’union des roses, neuf rois régnèrent en Angleterre. Six de ces rois furent déposés ; cinq perdirent la vie avec la couronne. »

Le XVIe siècle fut une ère de transformation pour les monarchies européennes. Dans toutes les grandes monarchies du continent, la royauté devint absolue. Partout le pouvoir royal s’accrut au milieu de ces trois grands faits : l’entretien d’armées permanentes, l’affaiblissement des grands seigneurs, la destruction des libertés populaires. Les choses ne se passèrent point ainsi en Angleterre. Il est vrai que les rois anglais du XVIe siècle respirèrent à pleine tête cet esprit de domination qui entraînait au despotisme les rois du continent : les Tudors exerçaient le pouvoir royal avec une énergie qui fut souvent tyrannique ; mais la force que les Tudors donnèrent à la royauté fut surtout une force morale, inhérente à leur génie altier et à leur caractère impérieux. Les Tudors ne purent fonder la royauté absolue, car ils n’en possédèrent pas l’irrésistible instrument : une armée permanente. L’Angleterre dut ce bonheur et sa liberté à sa position insulaire. Si elle eût pu être attaquée sur ses frontières et envahie dans son territoire, l’intérêt de sa sûreté l’eût obligée d’avoir sur pied, comme la France, l’Autriche et l’Espagne, des armées permanentes qui auraient fini par mettre aux mains de ses rois la puissance absolue ; mais les Anglais abrités par la mer, n’avaient pas besoin d’entretenir des troupes. Tous habitués au maniement des armes, leurs milices provinciales suffisaient, comme au moyen-âge, à la défense du pays. La tyrannie des Tudors arrivait donc bien vite au bout de sa force matérielle. Oppresseurs dans l’enceinte de leurs palais, ils étaient contraints au dehors d’observer avec anxiété et de ménager avec sollicitude l’humeur de la nation. Ils demeuraient désarmés au milieu d’un peuple armé. Ce peuple formait d’ailleurs la société la mieux fondue, la plus unie qu’il y eût alors en Europe. Dans d’autres royaumes sortis de la féodalité, l’antagonisme des races conquérantes et des races conquises se poursuivait dans des rivalités de classes, dans le mépris et la haine qu’échangeaient seigneurs et peuple, nobles et bourgeois. Rien de semblable ne subsistait plus en Angleterre au XVIe siècle. Noblesse, bourgeoisie, peuple, — les idées que ces mots expriment chez nous et les choses qu’ils désignent n’existèrent jamais dans la constitution sociale de l’Angleterre. Depuis l’établissement de la royauté absolue, nous n’avons point eu en France d’aristocratie politique ; nous n’avons eu qu’une noblesse de race, investie de privilèges civils. Cette noblesse était exclusive et fermée, parce qu’elle se fondait sur un principe qui ne se donne ni ne s’acquiert, l’antiquité et l’illustration du sang. Elle excitait la jalousie et l’inimitié des autres classes, qu’elle blessait par ses privilèges et qu’elle humiliait par son orgueil.