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ce fût assez tôt pour qu’il eût le temps de se mettre en règle avec Guillaume d’Orange. Le négociateur qui servit d’intermédiaire entre l’opposition anglaise et Guillaume fut Henry Sidney. Sidney, encore un des héros des Mémoires de Grammont, était l’amant de lady Sunderland : celui-ci ne rougit pas d’exploiter son déshonneur au profit de ses intérêts politiques. Il communiquait avec Guillaume d’Orange par l’intermédiaire de sa femme, qui transmettait ses confidences à Sidney. Au dernier moment, un de ces messages de trahison fut intercepté et porté à Jacques. Lady Sunderland protesta que c’était un faux. Lord Sunderland ne dit qu’un mot pour sa défense : « Quand cette écriture serait celle de lady Sunderland, cette affaire ne me regarderait point. Votre majesté connaît mes infortunes conjugales. Les relations de ma femme avec M. Sidney ne sont que trop publiques. Qui pourrait croire que j’aie fait mon confident de l’homme qui a blessé le point le plus sensible de mon honneur, de celui de tous les hommes que je dois le plus haïr ? » Le malheureux Jacques ne put le croire en effet. Quant à Sunderland, il fut épargné par la révolution ; il redevint protestant et plus tard principal ministre de la reine Anne.

Quoique aussi profondément corrompu que Sunderland, la figure de Churchill rayonne devant l’histoire de l’éclat du génie et de la gloire militaire. L’origine de sa fortune fut honteuse. Il était le frère d’une fille d’honneur peu jolie de la première femme de Jacques II, dont celui-ci fit sa maîtresse. Il débuta jeune et brillant, dans la cour voluptueuse de Charles II. Son premier succès fut le violent caprice qu’il inspira à la maîtresse de Charles, lady Castlemaine. Surpris un jour avec elle par le roi, il fut obligé de sauter par la fenêtre. Lady Castlemaine, en l’honneur de ce galant exploit, lui fit cadeau de 5,000 livres sterling. Le prudent Churchill acheta sur-le-champ, avec cette somme une annuité de 500 livres bien établie sur hypothèque : ce fut le noyau d’une fortune qui était à sa mort de 50,000 livres sterling de rente. Son avancement fut rapide. À vingt-trois ans, il servit en Hollande sous Turenne, et se couvrit d’honneur. Attaché à la maison en duc d’York, il l’accompagna aux Pays-Bas, en Écosse, obtint une pairie écossaise, et fut mis à la tête du seul régiment de dragons qu’il y eût en Angleterre. Sa femme eut un emploi dans la maison de la fille de Jacques, la princesse Anne, dont elle devint la favorite. Jacques, à son avènement, le nomma ambassadeur extraordinaire auprès de Louis XIV ; il lui donna ensuite une pairie anglaise et les premières charges de l’armée. Churchill ne garda aucune reconnaissance de ces bienfaits. Quand, avec la perspicacité infaillible de son esprit et le sang-froid de son caractère, il vit Jacques pencher vers la ruine, il ne fit rien pour le retenir et le sauver : il négocia secrètement et ce Guillaume, mit la princesse Anne dans les intérêts de son beau-frère contre ceux de son père,