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avec infiniment de succès. Ils ont dit aux paysans que les nobles allaient revenir, qu’ils les mettraient en esclavage, qu’ils prendraient les propriétés acquises par leurs pères et les feraient travailler à leur profit, prélèveraient sur les fruits de leur travail dîmes et rentes, que sais-je encore ? Les paysans, qui n’ont aucune notion de l’histoire contemporaine, qui ne savent pas la succession des faits accomplis depuis 1789, qui n’en comprennent pas la signification, et qui, par cela même, ont toujours peur d’un retour aux anciennes institutions sociales, ont accepté ce mensonge sans trop hésiter. Certes, cette ruse est grossière, mais remarquez qu’elle s’adresse à ce qu’il y a de plus grossier et de plus facile à égarer : l’intérêt. Songez qu’elle s’adresse à la crainte, dont le caractère est précisément l’absence complète de réflexion, l’aveuglement, et vous comprendrez le succès qu’elle a obtenu.

Ils se sont adressés d’une manière plus directe encore à l’intérêt des paysans, et, pour ce faire, ils ont donné l’éveil à ce qu’il y a de plus mauvais et de plus cupide dans cette passion. On sait comment la plupart des biens nationaux ont été acquis. En ce bienheureux temps de la terreur et du papier-monnaie, on pouvait faire quelquefois d’excellentes affaires. Dans les transactions entre citoyens, le moindre objet de commerce se soldait par une énorme pile d’assignats, tant était grande la dépréciation du papier-monnaie. Le meilleur moyen de l’employer était de le rendre à l’état en achetant des propriétés nationales. Il y a tel paysan qui à cette époque acheta une énorme propriété pour le prix de 50,000 francs payables en assignats, prix qu’il avait reçu la veille en échange d’une truie ou d’une vache On a donc fait entendre aux plus cupides que, si ces temps revenaient, une nouvelle émigration aurait lieu, et qu’alors ils acquerraient de la même façon toutes les terres des bourgeois. Sans doute cette insinuation n’a pas eu le même succès que la première, mais les plus cupides s’y sont facilement laissé prendre. Aux métayers et aux colons, on a dit qu’ils auraient tout le produit des terres qu’ils cultivent, que le propriétaire en avait assez joui, et que c’était maintenant à leur tour. Cette bizarre idée que la propriété doit changer sans cesse de mains, afin que chacun en jouisse à son tour, et cette autre idée du partage sont sans doute les plus grossières de toutes, mais ce sont les seules que le paysan puisse comprendre. Ce sont en effet les deux idées que la passion de nivellement qui est dans la nature de l’homme présente les premières. Point n’est besoin de métaphysique pour comprendre cela. Ne croyez pas jour cela que les paysans entendent partager leurs terres, ne croyez pas qu’ils veuillent céder un instant leurs champ et leurs prés pour en faire jouir ceux qui ne possèdent pas. Non certes. Ceux qui donnent dans cette théorie du partage ne font, d’une part, qu’obéir aux instincts de l’homme, et, d’autre part, ils entendent simplement partager les