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LA FIN DE LA GUERRE DE HONGRIE.

donc en défiance personnelle à l’égard des Polonais, et c’est ce qui nous aide à concevoir comment il paraît les avoir oubliés en un moment où il avait tant de raisons de se souvenir d’eux.

La conduite de Georgey n’est pas une défaillance de courage ; il s’est rendu parce que l’armée magyare était démoralisée, anéantie par une série de défaites que des historiens crédules nous avaient données pour des victoires ; mais Georgey, en se rendant aux Russes avec tant de considération et de politesse, a obéi à des sentimens puérils de dépit envers les Autrichiens, et blessé inconsidérément les légitimes susceptibilités des Polonais.

La difficulté que l’on avait à se rendre compte de tant de circonstances, déjà fort obscures par elles-mêmes et dénaturées par la publicité, a prêté à maintes hypothèses sur les conditions de la soumission des Magyars. Georgey a-t-il traité avant de déposer les armes ? quelles garanties a-t-il obtenues pour son pays ? ou bien a-t-il laissé la Hongrie à la discrétion du vainqueur ? et, dans ce cas, quel sort est réservé à la nation magyare ? Il y a là matière à toutes les suppositions que l’on voudra. Cependant, si l’on en juge par la vraisemblance, on peut tout d’abord simplifier ces suppositions. Il n’y a, en effet, nulle apparence que le général Georgey ait pu mettre des conditions bien sérieuses ou même aucune condition à l’acte par lequel il a terminé cette guerre. Sous le poids de la nécessité qui l’accablait, il n’était pas plus en son pouvoir de proposer des conditions qu’il n’était de la dignité et de l’intérêt du vainqueur d’en accepter. Jusqu’à preuve du contraire, l’on peut donc tenir pour évident qu’il n’y a derrière la défaite de Georgey ni traité secret ni convention écrite par laquelle le vainqueur se soit généreusement lié les mains, quand il pouvait détruire l’ennemi qui se rendait. C’est donc, en définitive, du libre arbitre de la Russie et de l’Autriche que dépend le sort de la Hongrie. Qu’en résultera-t-il ? Que voudra l’Autriche ? que conseillera la Russie ? La question n’est point sans difficultés : il se pourrait bien que les vœux des deux cabinets ne fussent point entièrement conformes. L’Autriche est portée à chercher dans l’organisation qui sera donnée à la Hongrie un moyen de s’affermir et de fortifier son indépendance ; la Russie, pour être fidèle à ses traditions, ne manquera pas d’y chercher un moyen d’entretenir la faiblesse et les embarras de l’Autriche. Or, l’intérêt bien entendu des Magyars et des populations slaves de l’Autriche, comme l’intérêt de l’Autriche elle-même, c’est que la question soit tranchée d’une façon décisive qui détruise tous les germes de nouveaux dissentimens. Où est la lumière pour la solution de ce problème ? Dans l’étude des causes qui ont armé les peuples slaves de la Hongrie contre les Magyars et les Magyars contre l’Autriche.

On ne l’ignore point, les Magyars étaient poussés par une fatalité inexorable à la ruine de leur pouvoir comme race ; ils devaient nécessairement arriver par la paix comme par la guerre. Le développement de l’esprit public chez les Slaves et les Valaques, qui forment les deux tiers de la Hongrie (environ huit millions d’ames sur treize), le progrès des idées de nationalité que la science et la littérature propageaient avec ardeur chez chacun de ces peuples, devaient les arracher peu à peu à l’influence, à la suprématie administrative des Magyars. Cette race, isolée au milieu de populations hostiles préoccupées de leur autonomie, jeunes et ambitieuses, était condamnée à perdre tôt ou tard la