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Deux jours avant celui où il aborda William Simpton, Peter avait échangé plusieurs phrases avec sa divinité. Au moment où il approchait de sa bouche la main de la comédienne en s’écriant : — Quel philtre amoureux, vous nous avez fait boire à tous ce soir dans votre rôle d’Ophélia ! — miss Jane disait à un jeune lord : — Je voudrai avoir ma statuette faite par William Simpton. – Voulez-vous, miss, s’empressa de dire Peter, que je vous amène sir Villiam Simpton ? C’est un jeune homme un peu sauvage, mais fort aimable, qui demeure dans ma maison. Jane avait répondu : — Volontiers, — de ce ton indolent que prennent les femmes faites comme elle, quand elles voient la possibilité d’accomplir sur-le-champ le désir qu’elles viennent de former. Et maintenant on comprendra pourquoi M. Croogh dit à William en l’abordant : — Je bénis le hasard qui a porté vos pas ici, monsieur William. Hier le logis que vous avez le moins hanté, n’est-ce pas, c’est le vôtre. J’ai vainement heurté à la porte de votre chambre et à celle de votre atelier. J’avais à vous parler, monsieur William, d’une belle dame, d’une femme célèbre…

— De miss Jane, interrompit William, qui savait combien était restreint le nombre des belles dames et des femmes célèbres que connaissait Peter Croogh.

— Oui, de miss Jane. Elle a envie de voir ses traits divins reproduits par votre ciseau. Si vous le voulez, je vous conduirai ce soir à sa loge.

C’était une bonne fortune que Simpton n’avait aucune raison de refuser. Il n’appartenait pas à cette race exécrable d’artistes qui vont s’installer dans le monde devant les beautés à la mode avec des regards extatiques ou enflammés voulant dire : — Que j’aurais de plaisir à rendre tous ces charmes pour une bonne somme de guinées ! — mais l’idée d’avoir à faire une jolie statuette bien payée ne lui paraissait une idée triste. — Allons, soit, dit-il à Peter, conduisez-moi à miss Jane. — Et la fatalité, sous la forme de Peter Croogh, mena William Simpton chez celle qui devait brûler sa vie.


II

Il y avait réunion nombreuse dans la loge de miss Jane quand Peter Croogh et William Simpton y pénétrèrent. L’illustre actrice venait de jouer pour la seconde fois dans Hamlet le rôle d’Ophélie, et son succès, à cette seconde épreuve, avait encore dépassé celui qu’elle avait obtenu à la première. Des monceaux de bouquets odorans s’élevaient dans tous les coins de sa loge. C’était à peine si l’on pouvait remuer dans cette petite pièce où s’agitait une foule de courtisans empressés rappelant les foules de Versailles ou de Windsor.