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comme j’en ai vu tant, qui croient niaisement, en se mettant à vos genoux, vous ouvrir les portes d’un monde nouveau et enchanté, je suis sûre que je n’en ai pas aimé et que je n’en aimerai pas. C’est si vieux et si peu mystérieux, l’amour !

Miss Jane trouvait plaisir, en cet instant, à jouer ce rôle d’ame implacablement aride, amère et désabusée, qui a flatté tant d’esprits depuis l’inauguration de la raillerie et de la mélancolie infernales avec Goethe et Byron. Probablement elle allait encore changer de personnage, quand lord Damville entra. Lord Damville avait cet air posé et content de lui qui ne le quittait pas un instant. Il baisa avec une grace onctueuse la main de miss Jane, fit le plus convenable salut à William Simpton, s’assit et se mit à parler du ton d’un homme qui se veut et se croit aimable. Miss Jane fut sombre et Simpton fut rêveur. À la fin de cette séance, la statuette était terminée.

— Demain, monsieur Simpton, dit miss Jane en prenant congé de l’artiste, j’exposerai votre œuvre dans mon salon ; après-demain, j’espère que vous viendrez me voir dans ma loge. Excusez-moi aujourd’hui si je ne vous témoigne pas plus de reconnaissance et d’admiration ; je suis fatiguée, je souffre.

— Vous avez fait, monsieur Simpton, une fort belle chose, dit lord Damville avec l’accent solennel d’un mari qui prend la parole au nom de la communauté ; soyez bien sûr que miss Jane apprécie comme moi votre talent, mais, en sa qualité de femme et d’artiste, miss Jane a le droit d’être impressionnable, mobile, même capricieuse : c’est une véritable sensitive.

Sur cette comparaison poétique d’une si étincelante nouveauté, lord Damville s’arrêta avec un sourire satisfait.

— Tout artiste, dit William Simpton en jetant un regard ardent et triste sur miss Jane, éprouve un véritable chagrin à se séparer de l’œuvre qu’il finit. Moi surtout, j’ai le droit d’être affligé, car ce n’est pas de mon œuvre seulement que je me sépare.

— Ah ! monsieur Simpton, dit encore lord Damville avec bonté, nous ne romprons pas, je l’espère, les charmantes relations qui se sont établies entre nous depuis quelque temps.

Et il fit un signe à miss Jane pour qu’elle dît quelque chose d’agréable au sculpteur.

La mystérieuse créature baissait la tête. C’était à présent son humeur et son plaisir de garder le silence. Ce silence, du reste elle le savait bien, avait, par son étrangeté, quelque chose de plus propre à émouvoir Simpton que toutes les louanges du monde. Au moment où elle se retirait, comme par un mouvement involontaire, elle tendit la main à l’artiste, toujours sans lui parler.

— Quelle ame perversement coquette ! se dit William quand il fut