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dans leur nouvelle demeure, et qu’ils conservèrent religieusement. On sait que cette loi consiste en ce que tout juge est tenu, sur la simple réclamation qui lui est présentée, de décerner un mandat au détenteur connu ou présumé de toute personne qu’on suppose illégalement retenue, afin qu’il la produise sans délai. L’esprit pratique des Américains a imaginé pour l’habeas corpus une sanction fort efficace. Dans l’état de New-York, tout juge qui se refuserait à expédier immédiatement le mandat serait, par cela même, atteint d’une amende de 1,000 dollars (5,400 fr.). Voilà ce qui s’appelle aller au but.

La liberté individuelle est respectée à ce point aux États-Unis, qu’on en est venu à supprimer, dans la plupart des anciens états, la contrainte par corps en matière commerciale ; les nouveaux états, à plus forte raison, ne l’admettent pas.

À plus forte raison, les formalités que notre code douanier permet, ou dont la douane se délivre à elle-même la permission, telles que les visites à corps, qui ne connaissent ni âge, ni sexe, ni condition, sont-elles inconnues en Amérique. Ce serait un cas de révolution qu’un agent de la douane osât prétendre à faire visiter la femme ou la fille d’un citoyen. Chez nous, qui donnons, à ce que disait la première édition du préambule de la constitution, le modèle de toutes les libertés au genre humain charmé de nous contempler, c’est ou ce peut être le pain quotidien des habitans des frontières et des voyageurs. L’assemblée constituante de 1848 était si peu éclairée sur ce que c’est que la liberté réelle et pratique, qu’il n’y a pas été dit un mot de protestation contre cette violence sauvage.

La liberté du domicile est protégée en Amérique à l’égal de la liberté de la personne. Les visites domiciliaires ne sont autorisées en Amérique que sous des conditions et selon des formalités empruntées, comme l’habeas corpus, à la législation anglaise, et effectivement observées, sans qu’on en ait rien laissé tomber en désuétude. J’en fais l’observation parce que, nominalement, la législation française semble protéger le domicile du citoyen français avec non moins de zèle que la législation des États-Unis ; mais il y a la porte de derrière par laquelle, chez nous, on pénètre sans cérémonie dans la maison du citoyen, après avoir fait toute sorte de respectueux salamalecs devant la façade principale. La fiscalité, chez nous, a donné le coup de grace à la liberté du domicile. Pour constater des contraventions souvent futiles, quelquefois imaginaires, les nombreux agens des administrations fiscales, chacun des soldats de cette armée innombrable qui a pour chefs les directeurs-généraux des contributions indirectes et des douanes n’a qu’à requérir le commissaire de police, qui s’empresse de répondre à la réquisition, et le domicile est violé.

On dira peut-être que c’est l’intérêt du fisc qui l’exige. Si les droits du fisc ne sont pas garantis, qu’est-ce que devient l’état lui-même ?