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véritable course au clocher intellectuelle… L’intelligence, à chaque instant prise au dépourvu et dépassée par les faits, s’efforce de les rejoindre, emploie toute son activité afin de les ressaisir. Ce ne sont plus les faits qui découlent de la pensée, c’est la pensée qui est déconcertée, entraînée, subjuguée par les faits ; elle s’épuise dans ces courses perpétuelles, dans ces luttes, sans acquérir aucune expérience dans ces étranges voyages, où le but est d’arriver, et rien autre. Alors, lasse, fatiguée, elle retombe sur elle-même et se livre à des rêves sans fin, rêves du passé, prophéties somnambuliques, doctrinés décousues, discours sans motif. Les faits sont plus forts que le caractère, que les mœurs, que l’intelligence dans notre temps.

À toutes les époques, on peut juger du degré de liberté morale de l’homme par l’énergie ; d’action dont il fait preuve. C’est par là seulement qu’il dompte les faits et les subjugue. Sans l’action, la pensée est impuissante ; elle peut bien diriger, mais non pas conquérir. Aujourd’hui, notre désir d’action, disons mieux, nos velléités, sont à chaque instant paralysées. Nos désirs d’action sont contredits par notre tendance au repos, notre impuissance d’application, notre ennui, et surtout par nos alarmes. Chaque fois que nous voulons agir, une sueur froide se répand sur notre front, comme sur le front de l’élève en sciences occultes sur le point d’évoquer pour la première fois les esprits. Nous craignons que les faits ne soient plus forts que nous ; nous hésitons, et l’incertitude est la seule déesse qui nous conseille. Nous adorons les faits accomplis par crainte et par terreur, absolument comme les anciens Egyptiens adoraient le crocodile. Ce n’est point par amour du meilleur, mais bien par crainte du pire. Le doute nous arrête toujours à moitié chemin, et la libre volonté n’emploie plus ses forces, dans notre temps, à combattre contre le mensonge, mais bien contre les doutes intérieurs. C’est en cela que consiste l’héroïsme du XIXe siècle. Jadis on combattait sous les bannières sacrées, on savait ce que signifiaient leurs symboles, on marchait avec confiance sous leur protection, on allait à la conquête de l’erreur et du mensonge ; tout étincelait, tout était flamme. Aujourd’hui, un second adversaire s’est présenté : nous avons à combattre non-seulement le mensonge, mais encore le doute, que nous portons en nous. Aussitôt que nous croyons avoir terrassé le mensonge, les anxiétés intérieures reviennent nous assaillir. Quand, le mensonge, sous la forme du socialisme, n’est plus là pour exercer notre force morale, aussitôt reparaît le doute avec toutes ses pâleurs et ses alarmes.

L’opinion publique est tout aussi incertaine que l’intelligence et les mœurs. Les radicaux et les socialistes le savent bien ; aussi ; espèrent-ils toujours emporter la société en dupant l’opinion publique. Elle n’existe