Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/1100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jusqu’à ce qu’elle se soit étendue sur toute la circonférence de la terre. Les enfans deviennent des hommes, les jeunes filles des épouses et des mères ; tout change et meurt, mais passe comme les roses et le printemps, comme les saisons et le temps lui-même. De douces chansons retentissent sur toute la surface du globe, des chants d’amour et des hymnes d’action de grace. Les hommes se passent de main en main le signe, le talisman sacré qui préserve de la mort, en répétant en chœur : Celui-là ne craint pas la mort qui a en lui une conscience libre, une ame joyeuse, un cœur religieux !


III

Maintenant que nous avons vu l’image de ce monde des fantômes dans les livres et les tableaux du parti réactionnaire, regardez-la dans le miroir que vous présente le chef du socialisme, dans les Confessions de M. Proudhon. Comme l’artiste allemand, M. Proudhon raconte les voyages de la mort, les progrès que fait le néant, mais il ne s’en afflige point. Ses récits ne portent point l’empreinte de la tristesse et des découragemens. Non ; au contraire, jamais son cœur n’a été aussi plein de joie ; il triomphe, il rit bruyamment, il éclabousse ses amis et ses ennemis, il verse sur eux tous la même dose de sarcasme, il leur prodigue d’un ton goguenard ses consolations les plus ironiques et ses adieux les moins mélancoliques. Ils sont tous morts, s’écrie-t-il ; les partis sont dans leur tombe ; puissent-ils y demeurer scellés jusqu’au jour du jugement ! La France est en pleine décomposition, les vieilles sociétés se meurent, moi seul je survis. Et, pour prouver son existence, Dieu sait les exercices auxquels se livre cet étrange Panurge philosophique : il gambade sur les tombes et entonne un grotesque De profondis. O mort : semble-t-il dire, ô douce mort : sois bénie ! C’est toi qui viens rendre le repos aux peuples qui ont long-temps vécu, c’est toi qui termines les combats d’Etéocle et de Polynice que les peuples se livrent ! Tu brilles sur les guerres civiles comme une douce aurore, tu es le champ du repos et de la paix, tu mets fin aux luttes sanglantes des partis, aux passions et à l’orgueil des philosophes ; tu fais cesser l’espérance, tu fais abandonner complètement les rêves poursuivis ; tu es la joie des cœurs souffrans et la terreur des heureux, ô déesse égalitaire, car la vertu, c’est encore toi ! C’est par cet hymne à la mort que M. Proudhon aurait dû terminer son livre, et non pas par cet autre hymne à l’ironie que vous savez ; car ce livre laisse une impression triste et lugubre. La couleur du livre est sépulcrale, le ton ironique. L’aspect général qui se produit après l’avoir fermé est celui d’une rangée de bières entr’ouvertes et laissant apercevoir des morts recouverts de leurs suaires. Quel temps ! quelles œuvres ! se dit-on après une telle lecture,