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de la monarchie. Nous avions la guerre des ombres, et ce qu’il y a de pis, c’est que nous nous occupions à cette guerre des ombres, quand nous avons à songer à je ne sais combien de réalités. Nous nous souvenons involontairement en ce moment d’une anecdote du dernier siècle : c’étaient deux jeunes époux qui, causant un soir auprès de leur feu de leur postérité future, et de l’état que prendrait leur premier enfant : — Moi, dit le mari, je veux qu’il soit président au parlement de Paris. — Et moi, dit la femme, je veux qu’il soit chevalier de Malte. — la querelle s’échauffa. Un ami de la maison arriva qu’on prît pour juge. Il tâcha d’abord d’être de l’avis du mari et de la femme ; mais il y perdit sa politesse d’abord de et sa patience ensuite. — Eh morbleu ! dit-il au mari, laissez d’abord à votre femme le temps d’accoucher ! et si c’est un garçon, vous verrez après… – Eh ! monsieur, comme vous y allez ! reprit le mari, ma femme n’est pas encore grosse. – Nous serions tentés d’être ici de l’avis de l’ami de la maison, et d’attendre que l’enfant fût fait, pour savoir si ce sera un roi ou un empereur. Or, l’enfant n’est pas fait, sachons-le bien. Nous n’avons pas, dans notre société, la plus petite hiérarchie et la plus petite stabilité possible, et nous parlons de monarchie et de monarque ! Remercions le président d’avoir écarté toutes ces chimères, celles de son parti et celles des autres partis, d’avoir fait rentrer tous ces fantômes dans le demi-jour qui leur convient, de nous avoir tous rappelés à la réalité la réalité, c’est que nous avons beaucoup à réédifier avant de savoir comment nous appellerons notre édifice. Où nous en sommes, ce n’est encore qu’une république, et cela ne peut être qu’une république.

Le ministère, dans les dernières séances de l’assemblée nationale, n’a pas montré moins de sens et moins d’à-propos q4ue le président : ’M. Fould a vivement défendu le maintien de l’impôt des boissons, et nous avons vu avec plaisir M. de Montalembert, c’est-à-dire un des orateurs les plus accrédités de la majorité, seconder avec un rare talent M. le ministre des finances. M. de Montalembert a bien compris que le maintien de l’impôt sur les boissons n’était pas une question fiscale, mais une grande question politique ; la banqueroute, la hideuse banqueroute, comme disait Mirabeau, pèse sur toute la discussion de l’impôt des boissons. Si les 100 millions de cet impôt manquent au trésor public, le trésor ne pourra pas faire face à ses engagernens, et c’est là, Dieu nous pardonne, ce qui tente la montagne ! Une bonne banqueroute qui frapperait les rentiers de l’état, les adjudicataires des emprunts, qui s’étendraient bien vite sur les actionnaires des chemins de fer, et de là sur toutes les spéculations de la grande industrie et du haut commerce, quelle bonne fortune pour la montagne ! Les voilà donc ruinés, ce ces odieux rentiers qui aiment le repos, ces affreux capitalistes qui détestent la démagogie ! La montagne ne se soucie pas de savoir si, une fois les rentiers ruinés, le petit commerce et la petite industrie ne seraient pas ruinés du même coup ; car ce sont les rentiers qui sont les pratiques du petit commerce. Tout se tient donc dans notre pays, et c’est là ce qui fait sa force ; c’est là ce qui le soutient à travers tant d’épreuves. Vous voulez frapper la propriété, parce que ce mot de propriété réveille dans les esprits grossiers l’idée d’une certaine fortune ; mais, en France, il n’y a pas de grands propriétaires, et frapper la propriété, c’est frapper tout le monde. Vous voulez frapper les capitalistes et les banquiers, parce que ces deux mots aussi éveillent l’idée