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maintiendra dans ses rapports de bonne amitié avec le chef de la confédération argentine. L’Entre-Rios est entièrement sous la main du lieutenant de Rosas, le général Urquiza, qui commande un corps d’armée destiné a envahir Corrientes. Quant à Santa-Fé, s’il remue, c’est à la voix du gouverneur de Buenos-Ayres, qui, par ses lieutenans et par ses agens les plus dévoués, y domine avec une puissance écrasante. Enfin, cette armée de vingt mille Paraguayens qu’on nous donne pour alliée, nous supplions, au nom du bon sens de notre pays, qu’on veuille bien nous dire qui a pu la réunir, comment elle est équipée, et comment elle se meut. Le Paraguay compte, en exagérant tous les documens officiels, quatre ou cinq cent mille habitans épars dans de vastes déserts ; la plupart sont de pauvres sauvages, à peine vêtus et frottés d’un peu de civilisation L’état n’a pour revenus que la vente du maté aux pays voisins, et quelques droits de douane sur l’exportation du tabac et du sucre, et sur des importations presques insignifiantes ;

Le pays tout entier ne renferme peut-être pas quatre mille fusils, et il en a besoin pour se défendre contre les incursions des sauvages du voisinage. Ni l’état ni les particuliers ne possèdent des bateaux susceptibles de porter l’armée le long du fleuve. Cette armée, veut-on l’expédier pieds nus, à travers les contrée vagues qui séparent le Paraguay des provinces argentines ? Les représentans du peuple qui arrivent de leurs villages à pied, sans souliers, portant sur leur tête ou sur leurs épaules leurs provisions pour la session, manquent d’argent pour chausser leurs soldats et leur fournir les équipages nécessaires aux expéditions lointaines. Nous n’ignorons pas que le Paraguay a le plus vif désir d’entrer en relations directes avec l’Europe, de s’assurer la libre navigation du Parana : dès 1825, le docteur Francia lui-même avait ardemment insisté auprès du plénipotentiaire de la Grande-Bretagne pour signer un traité à cet effet, et il avait été repoussé par la déclaration explicite et fondée sur le strict droit international, que la police du fleuve appartient exclusivement à la confédération argentine ; mais est-ce donc une raison suffisante pour abuser la bonhomie ignorante de notre pays de leurres si grossiers ? Il faut bien qu’une voix s’élève pour protester contre de tels piéges.

Comme enseignement final, nous croyons pouvoir ajouter que l’Angleterre a déjà envoyé sa ratification à Buenos-Ayres.

Voilà donc tous les moyens que nos représentans ont de repousser la convention signée par l’amiral Le Prédour. Ce serait risible, si l’intérêt et l’honneur de la France n’y étaient pas compromis. Mais, quand on aura sacrifié nos avantages les plus évidens et les plus palpables, notre commerce dans ce pays, c’est-à-dire 40 ou 50 millions par an ; quand on aura jeté dans une position critique quelques milliers de nos soldats, il faudra bien les soutenir. Et nous en laisserons entraîner follement dans une ruineuse expédition, sans but, sans résultat possible, pour aboutir à quoi ? à l’impuissance la plus absolue !

Si des considérations de cette nature restent sans influence sur notre politique, il faut désespérer de mettre jamais un grain de bon sens dans le gouvernement des affaires de notre pays.

V. DE MARS.