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1755, il débuta à Rome, en 1774, dans un rôle de femme avec un très grand succès ; Puis il parcourut l’Italie et visita les premières capitales de l’Europe, entraînant tous les cœurs sur son passage. La première fois qu’il chanta à Vienne, il y excita un tel fanatisme que toutes les femmes de la cour impériale voulurent avoir son portrait en médaillon. Elles le plaçaient au beau milieu du sein, comme une image castissima qui n’inquiétait ni la sécurité des maris ni la jalousie des amans.

Nous avons raconté dans ce recueil[1] quelle a été l’influence des castrats sur l’art de chanter et la grande révolution musicale qui les a fait disparaître pour toujours de la scène italienne. Ces êtres singuliers, victimes d’une monstrueuse aberration de l’esprit humain, avaient dans le caractère comme dans le tempérament quelque chose d’étrange et de maladif. Marchesi, par exemple, aimait à jouer des rôles d’homme qui lui permissent de porter un casque doré surmonté d’un panache à plumes rouges ou blanches. Il voulait toujours faire son entrée en scène en descendant une colline du haut de laquelle il pût s’écrier : Dove sonio ? Ensuite il exigeait que la trompette fît entendre quelques notes éclatantes, afin de pouvoir s’exclamer encore : Odi lo squillo della tromba guerriera ? Cela dit, il s’avançait aux bords de la rampe et chantait invariablement un rondeau, composé de deux mouvemens opposés, dans lequel il maudissait son déplorable sort, la cruda sorte, en lançant un déluge de gammes et de volatines, les unes plus rapides que les autres, qui ondoyaient et flamboyaient comme les plumes et les éclairs de son casque. Le rondeau que Sarti a écrit pour lui dans son opéra Achile in Sciro,

Mia speranza, io pur vorrei

a fait le tour de l’Europe. Marchesi le chantait partout et l’intercalait dans tous les ouvrages : c’était son grand cheval de bataille et ce que les Italiens appellent l’aria di baule, le morceau de voyage. Marchesi était un chanteur brillant, mais froid et d’un goût équivoque. Il n’avait ni le pathétique de Guadagni, ni le style admirable de Pacchiarotti. Attaché de cœur à la maison, d’Autriche, Marchesi n’a jamais voulu chanter devant Napoléon, qu’il traitait d’usurpateur. Il quitta le théâtre vers le commencement de l’année 1806, et se retira à Milan, sa patrie, où il est mort en 1829, âgé de soixante-quatorze ans, laissant une belle fortune, dont il avait toujours fait un noble usage.

J’ai eu l’honneur d’être présenté à Marchesi en 1817, à Milan, par l’auteur du Barbier de Séville, qui venait alors de terminer un nouveau chef-d’œuvre, la Gazza ladra. Comme j’avais chanté devant le célèbre virtuose l’air Di tanti palpiti avec une voix de soprano qui promettait un bel avenir, Marchesi me caressa la joue de sa main jaune et décharnée, en me disant : Bravo, carino, bella voce : che peccato ! « Très bien ! dommage que… » À ces mots, Rossini partit d’un éclat de rire immodéré. Plus tard, j’ai compris tout ce qu’il y avait de paternel dans les regrets de Marchesi.

Angelica Catalani étudia pendant deux ans sous la direction de ce maître. Marchesi

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 janvier 1848.